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fique, formant la seconde partie de la vaste encyclopédie rassemblée, au treizième siècle, par Vincent de Beauvais, sous le titre de Speculum quadruplex, naturale, doctrinale, morale, historiale ; Argentinæ, 1473 et 1476, 7 vol. grand in-fol. P. LEVOT

Histoire littéraire de la France, t. XVIII, p. 403-406. — Quétif et Échard, Biblioth. FF. Prædic. auct., t. I, p. 109. — Biographie Bretonne.

GUILLAUME de Lorris, l’un des auteurs du fameux Roman de la Rose, mort vers 1260. Sa mémoire est restée populaire à Lorris, sa ville natale, et l’on y montre encore aujourd’hui sa maison. Sa vie a été écrite par Guillaume Colletet ; mais ni Méon, ni Lenglet-Dufresnoy, ni aucun des érudits qui se sont occupés depuis du Roman de la Rose, n’ont cru devoir tenir compte de cette biographie peu véridique ; et tout ce que nous savons de positif sur notre auteur se trouve renfermé dans quelques vers de son continuateur, Jean de Meung. L’Amour, dans ce passage si précieux pour nous (édit. Méon, v. 10583 et suiv.) ; prédit qu’un jour Guillaume de Lorris commencera « li Romans où seront mis tous ses commans », et le poursuivra jusqu’à l’endroit où il dira à Bel-Accueil :

James n’iert riens qui me confort,
Se ge pers vostre bienveillance,
Car ge n’ai mes aillors fiance ;

C’est-à-dire jusqu’au vers 4068 de l’édition citée plus haut (vol. I, p. 460). « Ici se reposera Guillaume, continue Amour ; puisse son tombeau être plein de baume, d’encens, de myrrhe et d’aloès, pour le récompenser de m’avoir si bien servi, si bien loué ! Et ensuite viendra Jehan Clopinel, qui se chargera de parfaire ce roman » :

Car quant Guillaume cessera,
Jehan le continuera
Apres sa mort, que se ne mente,
Ans trespassès plus de quarente.

Or ces vers Si concluants ont dû être écrits entre 1300 et 1305, comme nous le prouverons quand nous nous occuperons de leur auteur ; ils nous autorisent donc à placer, comme nous l’avons fait, la mort de Guillaume de Lorris vers 1260. Ils nous apprennent aussi, ce qui n’est guère moins important, la part qui revient à notre poëte dans la composition du vaste Roman de la Rose ; environ quatre mille vers sur plus de vingt-deux mille, un peu moins du cinquième ! Il est vrai qu’il peut revendiquer l’honneur d’avoir conçu le plan général de l’ouvrage et dessiné le cadre dans lequel Jean de Meung est venu plus tard jeter les trésors de son érudition un peu confuse et de sa verve satirique. Mais croit-on qu’une gracieuse mais froide allégorie eût suffi pour assurer la fortune du poëme, et ne voit-on pas qu’il a dû sa vogue immense moins à l’ingénieuse idée de Guillaume qu’aux hardis développements qu’elle a reçus de son continuateur, à ses peintures cyniques, à ses sanglantes invectives contre les femmes et contre le clergé, contre les moines et contre les grands ? Si le Roman de la Rose a servi de texte aux discussions des théologiens et aux commentaires des savants, c’est à Jean de Meung que doit en remonter la responsabilité ; c’est lui seul qui a encouru les foudres de Jean Gerson et les verges des dames de la cour[1]. L’honnête poète de Lorris ne mérita jamais

Ni cet excès d’honneur ni cette indignité.

Rien en effet de plus innocent que la partie du poëme dont il est l’auteur : nous allons en donner une rapide analyse.

Guillaume songea qu’il était allé se promener hors de la ville, que cette promenade l’avait insensiblement conduit dans une prairie bordée par une petite rivière ; que de là il était venu à l’entrée d’un beau jardin, entouré de murailles, sur lesquelles étaient peintes, en or et en azur, la Haine, la Félonie, l’Avarice, la Villenye, la Convoitise, l’Envie, la Tristesse, la Vieillesse, la Papelardie, et la Pauvreté. Description de ces dames. L’auteur passe ensuite à celle du jardin dont la porte fut ouverte par Oyseuse, qui le conduisit aussitôt près du maître de ces beaux lieux, nommé Déduit. Cet aimable bachelier était en train de se divertir avec quelques amis ; près de lui était Liesse, sa maîtresse, une autre dame appelée Courtoisie, et enfin l’Amour. Le Dieu faisait porter ses armes par Doulx-Regard, qui tenait deux arcs, l’un beau et l’autre laid, et dix flèches, cinq dorées, dont les noms étaient : Toute-Beauté, Simplesse, Franchise, Compagnie et Beau-Semblant, et cinq de fer noir et rouillé : Orgueil, Villenye, Honte, Convoitise et Désespoir. Tandis que, sans songer à mal, notre auteur considérait l’Amour et son cortège, le dieu malin ordonnait à son écuyer de tendre son arc, et saisissant ses flèches, il s’apprêtait à en percer l’imprudent visiteur. Celui-ci prit la fuite à travers le jardin ; mais arrivé près d’un beau rosier, chargé de fleurs, il ralentit un instant sa course pour considérer un délicieux bouton, qu’il brûlait de cueillir. Aussitôt il se sentit frappé d’une flèche, puis successivement de cinq autres. Vaincu, il se jette aux pieds de son irrésistible ennemi, lui fait hommage humblement, suivant le cérémonial consacré, et lui donne comme gage de sa foi son cœur, que le Dieu, pour plus de précautions, ferme avec une petite clef d’or « tout souef, sans entamer la chemise ". L’Amour donne à son nouveau vassal plusieurs conseils, lui enseigne comment il doit se conduire avec les dames, et disparaît. Resté seul, l’amant ne peut résister au désir de se rapprocher du charmant bouton de rose. Il rencontre Bel-Accueil, fils de Courtoisie, qui lui facilite l’accès du rosier, à condition pourtant « qu’il se gardera de folie ». Mais respirer le parfum de la fleur ne lui suffit pas, et au moment où il étend une main téméraire, sort d’un buisson un grand homme noir

  1. Voy. la notice sur Jean de Meung.