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vait pas été consulté, chassa de la ville le nouvel évêque, et fit piller les maisons des chanoines qui lui avaient donné leur voix. Robert d’Arbrisselles apaisa le comte, et Geoffroi, paisible possesseur de son évéché, fut sacré à Rome, par Pascal II, en 1116. Il assista à plusieurs conciles, et se distingua par son éloquence. Il eut une contestation avec Geoffroi, abbé de Vendôme, relativement aux privilèges de cette abbaye. Une longue correspondance fut échangée entre les deux prélats ; il en reste douze lettres de Geoffroi de Vendôme et une de Geoffroi de Lèves dans laquelle il reconnaît la validité des privilèges de l’abbaye de Vendôme, et en ajoute d’autres de sa propre autorité. Si l’on en croit Abélard, l’évêque de Chartres fut le seul qui au concile de Soissons de l’an 1121, sans prendre ouvertement sa défense, n’approuva pas la rigueur dont il était l’objet. Cependant, vingt ans plus tard il signa la condamnation de ce philosophe. En 1127 il accompagna à Rome Etienne de Senlis, évêque de Paris, et en 1132 il reçut l’autorité de légat. Il eut en cette qualité à combattre dans l’Aquitaine les partisans de l’antipape Anaclet, et, avec l’aide de saint Bernard, il parvint à ramener à l’obéissance du pape Innocent le duc Guillaume, que l’évèque d’Angoulême avait entraîné dans le schisme. En 1137 il accompagna Louis le Jeune, qui allait à Bordeaux épouser Eléonore de Guienne. Il reçut encore du saint-siége diverses missions pour l’extirpation du schisme et de l’hérésie, et se conduisit toujours d’une manière irréprochable dans l’exercice de ses fonctions. C’est le témoignage que lui rend saint Bernard. On a de lui quelques lettres et des chartes recueillies dans la Gallia christiana.

Gallia christiana, t. VIII. — Histoire littéraire de la France, t. XIII.

GEOFFROI RUDEL, troubadour gascon, né à Blaye (Gironde), dans le douzième siècle, et mort à Tripoli de Syrie. Voici ce qu’en dit Hugues de Saint-Cyr, troubadour et biographe du treizième siècle : « Geoffroi était un gentilhomme, ayant le titre de prince de Blaye. Il devint amoureux de la comtesse de Tripoli, sans la connaître, par le grand bien qu’en disaient les pèlerins arrivant d’Antioche et sur l’éloge de sa courtoisie, il fit de bons vers et de bons airs en son honneur, mais dans un pauvre style. Résolu de la voir, il se croisa, et s’embarqua pour se rendre auprès d’elle. Pendant la traversée, il fut atteint d’une si grave maladie qu’on le crut mort. On le conduisit cependant à Tripoli, et on l’y déposa dans une maison. La comtesse en ayant été instruite, se rendit auprès de lui, et le prit dans ses bras. Tout mourant qu’il était, Geoffroi comprit ce qui se passait, et la joie qu’il en ressentit lui rendit un instant la vue, l’ouïe et l’odorat. Il loua Dieu de l’avoir laissé vivre jusqu’à ee moment, et expira dans les bras de la comtesse. Elle le fit honorablement enterrer dans la maison du Temple de Tripoli, et le même jour, de douleur, elle se fit religieuse. » Ce récit, sans date, sans détails sur les personnages mis en scène, sans précision sur l’événement, dont on ne trouve aucune trace ailleurs que dans quelques autres troubadours, a entraîné les modernes dans des conjectures bien diverses, accompagnées d’explications plus ou moins probables ; voici ce qu’on a dit à ce sujet :

L’aventure rapportée plus haut peut s’appliquer à quatre femmes qui toutes portèrent le titre de comtesse de Tripoli : 1o à Hodierne, fille de Baudouin II, roi de Jérusalem, sœur d’Alix, femme de Boémond II, prince d’Antioche, et femme de Raimond Ier, comte de Tripoli, restée veuve à trente ou trente-deux ans ; 2o à Melissende, fille d’Hodierne et de Raimond Ier, qui d’abord fiancée à Manuel Comnène, empereur de Constantinople, fut ensuite refusée par lui, et porta, selon l’usage du temps, le titre de comtesse de Tripoli ; 3o à Esquive, dame de Tibériade et veuve de Gauthier, prince de Galilée, qui, ayant épousé Raimond II en secondes noces, resta veuve en 1187, à l’âge d’environ trente à trente-cinq ans ; 4o à Alix, fille de Rupin, prince d’Arménie, femme de Raimond III, mort fort jeune, en 1200, et qui par conséquent devait être elle-même dans toute la fraîcheur de l’âge au moment de son veuvage. S’il s’agit d’Hodierne, comme Raimond Ier mourut en 1151, laissant son successeur, Raimond II, âgé de douze ans, il faut croire que Rudel dut entreprendre son voyage vers 1158, époque où Raimond II, arrivé à l’âge d’homme, put se passer de sa mère, qui lui avait servi de tutrice et qui avait alors de trente-huit à quarante ans. Si l’aventure se rapporte à Melissende, fille de Raimond Ier et d’Hodierne, Geoffroi ne se mit en mer pour aller la voir, qu’après 1162, époque où elle fut refusée par Manuel Commène, attendu qu’elle ne dut acquérir de la célébrité qu’après ce refus et une expédition entreprise, par son frère, pour la venger des mépris de l’empereur. Serait-il question d’Esquive ? Dans ce cas, le prince de Blaye n’aurait entrepris son voyage qu’après 1187. Enfin, il ne serait allé mourir à Tripoli qu’après 1200 si l’objet de sa passion eût été Alix. De toutes manières donc Geoffroi Rudel de Blaye ne vivait au plus tôt que dans la seconde moitié du douzième siècle et au plus tard que dans les premières années du treizième. L’idée d’en faire le plus ancien des troubadours, empruntée à Nostradaraus, n’est par conséquent pas admissible. Si maintenant il est permis d’établir une conjecture, nous dirons que nous n’hésitons pas à regarder comme la véritable héroïne du drame romanesque rapporté par Hugues de Saint-Cyr Melissende, dont la mésaventure ne manqua pas de faire du bruit, et qu’on décora sans doute, comme à plaisir, de tous les charmes de son sexe, pour donner plus d’éclat à la brutalité de Manuel Comnène et exciter da-