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jetées avec dédain. Il recommanda en même temps de traiter avec la plus grande humanité les malheureux, que la faim poussait vers les quartiers espagnols ; mais il en vint peu : ils aimaient mieux mourir que de recourir à leurs ennemis, et, dédaignant d’implorer la pitié de leurs vainqueurs, ils leur lançaient le regard sombre et féroce du tigre blessé. Cependant le cercle des destructions se resserrait chaque jour, et les Mexicains étaient réduits au quartier de Tlatelolco. Les défenseurs de la ville n’étaient plus qu’une foule affamée et pestiférée campant sur des monceaux de cadavres en putréfaction. « On ne pouvait poser le pied, dit Cortés, que sur des cadavres indiens. » Profondément touché de tant de souffrances, il fit faire de nouvelles propositions à Guatemozin ; trois fois il revint à la charge : le monarque aztèque fut inébranlable, et Cortés dut ordonner l’assaut. Le 12 août les Espagnols et leurs auxiliaires se précipitèrent sur le dernier asile des assiégés. Ceux-ci, enveloppés de tous côtés, purent à peine se défendre. Ce fut moins un combat qu’un massacre. Quarante mille Aztèques y périrent, égorgés surtout par les TIascalans et les autres auxiliaires. « Jamais, s’écrie Cortés, je n’ai vu une race aussi impitoyable ; jamais rien de ce qui porte la forme humaine n’a été aussi dépourvu d’humanité. — « Les cris piteux des enfants et des femmes, ajoute-t-il, suffisaient pour fendre le cœur. » Épouvanté lui-même de tant de carnage, il fit sonner la retraite, et laissa aux Aztèques survivants une nuit encore, espérant qu’ils se rendraient. Cet espoir fut encore déçu. En vain il envoya des prisonniers porter à Guatemozin des offres bienveillantes. Un des magistrats de la ville vint lui annoncer que le monarque était inflexible ; et il ajouta avec résignation : « Faites à votre plaisir. — Retournez alors, répliqua le vainqueur, et préparez vos compatriotes à mourir ; leur heure est venue. » Il différa néanmoins l’attaque pendant plusieurs heures. Mais ses troupes, craignant que Guatemozin ne s’enfuit avec ses trésors, arrachèrent à leur général l’ordre de l’assaut, et s’élancèrent sur la masse confuse entassée devant eux. Le carnage de la veille se renouvela avec plus d’horreur encore. Les Espagnols épargnèrent partout les femmes, les alliés indiens nulle part, malgré les ordres et les prières de Cortés. La prise de Guatemozin mit fin au massacre. Cortés, pour ne pas laisser ses soldats exposés à l’air empesté de Mexico, les fit reconduire dans leurs quartiers. Ainsi finit, le 13 août 1521, un siège qui durait depuis trois mois, et dans lequel les assiégeants et les assiégés avaient montré un héroïsme égal. Avec Mexico tomba l’empire aztèque, et Cortés, confirmé dans sa dignité de capitaine général par une ordonnance de Charles-Quint, n’eut plus qu’à organiser sa conquête. Il commença par rebâtir Mexico sur les ruines de l’ancienne cité, et la peupla en y attirant les Espagnols par des concessions de


terre et de maisons, et les Indiens par une politique libérale qui leur accordait divers privilèges, entre autres celui d’être gouvernés et jugés par leurs chefs nationaux. Il ne borna pas son attention à la capitale. Il eut soin de fonder des établissements dans toutes les parties du pays dont la position lui parut avantageuse. Ce furent Zacatula sur les bords de l’océan Pacifique, Coliman sur le territoire de Mechoacan, San-Esteban sur les côtes de la mer Atlantique, Médellin près de Vera-Cruz. Cortés favorisa l’établissement de ces diverses colonies par de larges concessions de terres et de privilèges municipaux. Il défendit en même temps le célibat, sous peine de confiscation des biens, et pria l’empereur de n’envoyer dans la Nouvelle-Espagne ni avocats, ni médecins, ni juifs christianisés. Malgré ses propres scrupules et les ordres formels de la cour d’Espagne, il adopta, sur les instantes réclamations de ses soldats, le vicieux système des repartimientos (lots d’Indiens donnés aux colons Espagnols) universellement pratiqué par ses compatriotes. Les TIascalans seuls, en récompense de leurs services, conservèrent leur liberté. Cortés, il est vrai, en accordant les repartimientos prit beaucoup de mesures pleines d’humanité pour limiter le pouvoir du seigneur et pour assurer aux indigènes tous les avantages compatibles avec le servage ([1]). Si Cortés fit trop bon marché des droits politiques des indigènes, il ne négligea rien pour leur bien-être spirituel. Sur sa demande, douze moines franciscains, « hommes d’une pureté sans tache, dit M. Prescott, nourris dans la discipline et la science du cloître, » arrivèrent dans le Mexique en 1524. Ces missionnaires, dont on ne saurait trop louer le zèle et la charité, obtinrent rapidement la vénération et l’amour des indigènes, qu’ils défendaient contre les violences des conquérants. Moins de vingt ans suffirent pour substituer sur toute la surface de l’Anahuac la religion chrétienne à l’abominable culte des Aztèques.

Cette œuvre pacifique de civilisation ne suffisait pas à l’humeur inquiète de Cortés. Informé de la défection d’Olid, qui avait conduit une colonie à Honduras, il se mit en marche pour le punir, le 12 octobre 1524, en se faisant accompagner de Guatemozin. Après quatre mois de la marche la plus pénible, il était sur le point d’atteindre l’État d’Aculan, lorsqu’il fut informé d’un complot tramé par les Mexicains de sa suite. Croyant ou feignant de croire que Guatemozin en était l’auteur, il le fit pendre aussitôt. Cruelle exécution, qui parut inique aux Espagnols eux-mêmes. À partir de ce moment rien ne réussit à Cortés. Cette expédition, qui dura vingt mois, n’eut aucun résultat. Rentré à Mexico en juin 1526, Cortés

  1. (1) Les ordonnances déterminent la nature des services des Indiens, les heures où ils seront employés, leur nourriture, la compensation qui leur sera accordée, etc. Elles exigent que le encomenduro (seigneur) pourvoie à leur instruction religieuse.