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dans les bonues grâces d’Elisabeth. Il devint grand-chambellan, conseiller privé curateur de l’université de Moscou, récemment créée (1755), membre de l’Académie des sciences ( 1776) et des différents conseils administratifs ; ce fut dans sa maison que l’impératrice eut, en 1776, une entrevue secrète avec le malheureux Ivân Antonovitch, et ce fut aussi lui, dit-on, qui eut un des premiers l’idée de donner à Elisabeth un autre successeur que le grand-prince Pierre Fœdorovitch. Castéra le peint comme un homme très-intrigant et d’une ambition démesurée ; cependant les lignes suivantes, du même écrivain, ne viennent pas trop à l’appui de son jugement. « Flatteur adroit de l’impératrice, Ivân Chouvalof ne lui parlait jamais que d’humanité ou de gloire. Il lui extorqua par ce moyen des dons immenses, et il lui inspira le désir de faire écrire l’histoire du règne de Pierre Ier, désir qu’il sut aussi tourner à son profit en s’attirant les louanges de Voltaire. » En effet, c’est à Ivân Ivanovitch Chouvalof, traducteur du monologue d’Hamlet et de quelques autres morceaux de littérature, et non pas à André Pétrovitch, que se rapportent ces mots de l’Histoire de Pierre le Grand : « C’est le même qui m’a fourni tous les Mémoires sur lesquels j’écris. » Pierre III ne l’éloigna pas de sa cour, et sous Catherine II il resta revêtu de ses hautes fonctions et amassa de grandes richesses.

Voltaire, Hist. de Pierre le Grand. — Castéra, Hist.

* CHOUVALOF (Pierre), cousin du précédent, mourut en 1762, peu de mois après avoir été nommé feld-maréchal. Jusque là il avait eu le grade de grand-maître de l’artillerie (Feld-zeugmeister), qu’Elisabeth lui avait conféré, et on le cite parmi ceux qui ont le plus contribué à perfectionner l’artillerie russe. Dans la guerre de sept ans, on employa, sous le nom d’obus de Chouvalof, des pièces qui se distinguaient en ce qu’elles avaient l’âme en ovale et qu’elles lançaient des projectiles qui se disséminaient dans le sens de la largeur et non dans celui de la hauteur. « Le comte Pierre Chouvalof, dit Castéra, était un génie hardi, romanesque, et l’opposé en tout de son cousin Ivân Chouvalof, qui n’avait que de la cupidité. Pierre s’est rendu célèbre en Russie par son ambition, et en Europe par l’invention des canons qui portent son nom. »

Castéra, Histoire de Russie.

* CHOUVALOF (André-Pétrovitch), fils du précédent, mort en 1789. Il fut chambellan, conseiller privé et chevalier de l’ordre de Saint-André. Il a pris place dans la littérature française par son Épître à Voltaire et par celle à Ninon de Lenclos ( 1774) ; la dernière a pu être attribuée au grand poëte-philosophe, dont cependant on y faisait l’éloge. « Mais ce n’est pas Voltaire, a dit Lévêque dans son Histoire de Russie, qui a fait les beaux vers que j’ai vu faire moi-même au comte Chouvalof ; ce n’est pas Voltaire qui après sa mort a fait l’Épître à Voltaire, du même auteur ; ce n’est pas, enfin, le vieillard de Feniey qui a traduit du russe en français l’épitre de Lomonossof sur le verre, traduction peut-être supérieure à l’original. Les vers du comte Chouvalof suffiraient à la gloire d’un homme qui ne prétendrait qu’à celle de la poésie. » Pendant son séjour à Paris, ce seigneur russe avait fait une profonde étude de la langue et de la littérature françaises ; il était lié avec Voltaire, et il correspondait aussi avec La Harpe, Chamfort, Helvétius, Marmontel. On lui a attribué une grande part dans la rédaction de l’Antidote (voy. Catherine II). Après avoir joui de la faveur d’Elisabeth, il fut nommé sous Catherine II membre du conseil de l’empire et sénateur, et il organisa les banques publiques.

Lévêque, Hist. de Russie.

* CHOUVALOF ( Paul-Andréievitch), fils du précédent, né vers 1775, mort à Saint-Pétersbourg, en 1823. Il fut lieutenant général et adjudant général de l’empereur. Il se forma à l’école de Souvarof, se distingua à l’assaut de Praga, et reçut une grave blessure en franchissant le Saint-Gothard. Il fut général à vingt-cinq ans. Dans la guerre de Finlande, il fut le premier qui mit le pied sur le sol de la Suède ; et l’audace avec laquelle il surprit et fit prisonnier huit mille Suédois, en traversant la glace, lui valut le grade de lieutenant général. Dans la campagne de 1813, il fut constamment près de la personne de l’empereur Alexandre : ce souverain, connaissant ses talents diplomatiques, le chargea d’entrer en négociations avec le duc de Vicence, et en 1814 il l’envoya à Blois pour ramener Marie-Louise à son père. Il accompagna aussi, au nom de la Russie, l’empereur Napoléon dans son exil à l’île d’Elbe, et le préserva, dans le midi, des outrages que des furieux lui prodiguaient. Il laissa deux fils. Les Mémoires qu’il a rédigés n’ont pas vu le jour, [Enc. des g. du m.]

Conversations-Lexicon.

CHRESTIEN ou CHRESTIENS DE TROYES, poète français, mort de 1195 à 1198[1]. On n’a pas de détails sur sa vie. Seulement on sait qu’il écrivit beaucoup et fut l’un des romanciers le plus féconds et les plus estimés de son temps. Plusieurs de ses ouvrages sont dédiés à Philippe d’Alsace, comte de Flandre ; ce qui ferait croire qu’il fut attaché à ce prince. Ses contemporains et les écrivains du siècle suivant le louèrent beaucoup, et dans une pièce conservée à la Bibliothèque impériale on voit le cas tout particulier que faisait de lui Huon de Méry, religieux de l’abbaye de Saint-Germain. Chrestien de Troyes avait en effet de l’invention, de la conduite et du style. Quelques-uns de ses ouvrages sont connus ; on lui en a attribué d’autres, qui ne paraissent pas être de lui. Six de ses roirians nous

  1. Telle est la date que donne l’Histoire littéraire Roquefort, dans la Biographie universelle, a placé la mort de Chrestien de Troyes à l’an 1191.