Page:Hoefer - Biographie, Tome 1.djvu/457

Cette page n’a pas encore été corrigée

ALEXANDRE {Papes) 881 écus par an. On raconte qu’il se détermina avec peine à quitter l’Espagne, où il vivait heureux. H Son amour excessif pour Vanozza, sa tendresse pour ses enfants, et l’idée de les quitter, causaient dans son cœur des agitations si violentes entre l’amour et l’ambition, qu’il ne savait à quoi se résoudre, semblable à un voyageur égaré qui ne sait quelle route suivre. Dans cette perplexité il voulut consulter Vanozza, afin qu’elle le déter- minât sur le parti qu’il y avait à prendre. Le résultat de leur entretien fut qu’ils iraient en Italie, mais par de différents chemins : après quoi ils partirent , lui pour Rome, et Vanozza et ses enfants pour Venise. La dame n’avait à sa suite que deux domestiques et un gentiliiomme espagnol, don Manuel Melchiori, qui était peut- être alors le seul homme du monde qui sût les intrigues de Roderic ; il jouait dans la famille le personnage de parent du prétendu mari de la dame : en cette qualité il servait dans toutes les af- faires domestiques, et ses services furent avec le temps si agréables à Vanozza, qu’elle promit de lui donner une de ses filles en mariage, comme la récompense de ses soins et de sa fidélité. Ce- pendant don Roderic, étant arrivé à Rome, alla loger à l’hôtel de son ami le cardinal de San-Se- verino, Milanais. Peu de temps après, le pape le manda. Dès que Roderic fut auprès de lui, il se jeta aux pieds de S. S.; et en les baisant il les arrosait de larmes de tendresse, lui souhaitant une longue jouissance de la nouvelle dignité à laquelle son mérite éclatant l’avait élevé. Après plusieurs compliments réciproques , Roderic se retira, laissant au pape une idée si avantageuse de son mérite et de sa conduite, que S. S . ne put s’empêcher d’y applaudir ouvertement, et de le louer en présence des cardinaux qui se trou- vaient auprès de S. S . Enfin il fut si persuadé de la gi-ande capacité de son neveu, qu’il le fit archevêque de Valence; et, le 12 septembre 1456, il le fit cardinal-diacre avec le titre de San- mcola in carcere Tullïano ; et afin qu’il pût faire une figure pronortionnée au titre de neveu du pape, il l’éleva à la charge de vice-chancelier de l’Église, poste éminent de confiance, et dont l’exercice doit se faire avec beaucoup de pompe et d’éclat ; à quoi le pape ajouta un revenu de vingt-huit mille écus par an (1). » Cependant la dignité de cardinal ne convenait pas tout à fait aux inclinations de Roderic, qui aurait mieux aimé occuper un poste militaire, afin d’être plus à portée de voir ses enfants et sa maîtresse. Il n’accepta la pourpre qu’avec l’espérance de succéder un Jour à son oncle. « Après quoi il affecta une piété et une humi- lité peu communes , en jouant le personnage de l’hypocrite le plus rusé et le plus consommé : il paraissait, pour ainsi dire, enveloppé dans la sainteté ; même sa tête était toujours penciiéc et ses yeux toujours baissés vers la terre. 11 prê- (1) Gorilon, f’iv du pape AkTundre f’I, t. I, p. 9. 882 chait sans cesse la foi et la repentance ; il fré- quentait les églises, haranguait en pubhc, s’insi- nuait dans la bienveillance des peuples en leur offrant sa protection dans toutes sortes d’occa- sions; il paraissait ennemi des richesses, visitait constamment les hôpitaux, faisait de grandes libérables aux pauvres, et publiait qu’à sa mort ils seraient ses héritiers. De tels artifices le firent paraître un saint aux yeux du monde; car la renommée ne fit pas seulement retentir tous les monastères de Rome de sa piété , mais le collège même des cardinaux la publiait et s’en faisait honneur. Il s’acquit la réputation d’un Salomon pour la sagesse , d’un Job pour la pa- tience, d’un Moïse pour la publication de la loi de Dieu, et enfin l’un des plus saints hommes du monde : les cardinaux ses confrères étaient si ravis de trouver parmi eux une personne d’une vertu si exemplaire , qu’ils lui donnaient à l’envi des marques particulières de leur estime (1). » Pendant qu’il vivait d’une manière en appa- rence si édifiante , il écrivait à sa maîtresse, lui recommandant le secret, et l’exhortant à la chas- teté jusqu’à ce qu’il pût la voir. Peu de temps après, son oncle vint à mourir (le 6 août 1458), et eut pour successeur Pie II. Sous ce ponti- ficat et sous celui de Paul II, on ne trouve au- cune mention du cardinal Roderic. On apprend seulement sous Sixte IV, successeur de Paul II, qu’il s’était si bien insinué daus les bonnes grâces du pape, qu’il lui donna l’abbaye de Su- biaco, et l’envoya en qualité de légat auprès des rois d’Aragon et de Portugal , pour régler les différends qui existaient entre ces deux souve- rains relativement à leurs prétentions sur la Castille. Le cardinal Roderic échoua dans ses négociations ; quelques intrigues qu’il eut , dit- on, avec les dames de la cour de Lisbonne, lui attirèrent le mécontentement du roi. En re- venant , il fit naufrage et faillit périr sur la côte de Livourne ; au même moment , Sixte IV mou- rut, et eut ( le 29 août 1484 ) pour successeur Innocent VUE. De retour à Rome, Roderic, sollicité par des lettres pressantes de Vanozza, pria le saint-père de lui permettre de se rendre à Ve- nise, pour y arranger quelques affaires de fa- mille. Sur le refus réitéré du pape , qui était sans doute instruit de l’état réel des choses , il fit venir secrètement sa maîtresse à Rome. « Elle y prit un logement près du Capitole, dans une maison qui appartient aux moines del Popolo. Elle n’y fut pas plutôt établie, que la curiosité porta quelqu’un de ces pères à chercher quelle pouvait être cette dame qui vivait d’une ma- nière si retirée dans un lieu si écarté. On rap- porte (pie le général de cet ordre ayant jeté les yeux sur une de ses filles, qui était une beauté parfaite, souhaita ardemment de s’insinuer dans la famille d’une manière plus particulière; (1) GorJon, ibid., p. 12.