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rendu l’héritier, il ne voulut rien entendre aux accommodements, ni écouter les invitations réitérées de la Russie d’exclure, comme elle, de ses ports les bâtiments anglais. Alexandre déclara la guerre à la Suède, envahit la Finlande, et fit la conquête de ce grand-duché, depuis longtemps objet de sa convoitise. Cette guerre n’était pas encore terminée, quand eut lieu la fameuse entrevue d’Erfurt le 27 septembre 1808, où Napoléon se vit entouré de courtisans, rois et princes, et où l’avenir de l’Europe devait être soumis aux délibérations des deux souverains qui s’en arrogeaient la dictature. Ce congrès resserra les liens qui unissaient déjà les deux empereurs, et rassura Napoléon sur les dispositions de son trop facile allié, au moment où toute son attention se portait sur l’Espagne. Quand la résistance héroïque des Espagnols et les subsides de l’Angleterre inspirèrent au cabinet de Vienne le courage de tenter une troisième fois le sort des armes, le cabinet de Saint-Pétersbourg ne jugea pas à propos de soutenir l’Autriche, ni de faire quelques efforts pour tirer la Prusse de son anéantissement. Aussi les batailles d’Aspern et de Wagram firent-elles promptement justice de cette levée de boucliers que l’alliance de la Russie aurait pu rendre décisive, et que cette puissance contribua, au contraire, à faire échouer par une invasion de ses armées en Gallicie, province dépendant de l’Autriche et démembrée anciennement de la Russie, qui en recouvra alors une faible partie. Les armes de la Russie étaient alors particulièrement dirigées contre la Turquie, son ancienne rivale, dont le partage paraissait avoir été arrêté par des stipulations secrètes du traité de Tilsit. Elles furent heureuses de ce côté-là ; car non-seulement les forteresses de Silistrie, Rutchuk et Giurgévo tombèrent en son pouvoir, mais le gros de l’armée turque sur la rive gauche du Danube se vit aussi forcé de mettre bas les armes et de se rendre à Koutousof. La guerre contre la Perse ne fut pas moins avantageuse pour la Russie, et amena, au bout de quelques années, de nouvelles conquêtes. Au milieu de tant de préoccupations, Alexandre ne négligeait point l’organisation de son vaste empire. Il continuait à travailler au développement de toutes les ressources du pays, et l’inaustrie nationale prit un grand essor par suite de la prohibition des marchandises anglaises, qui d’ordinaire encombraient les marches russes. En 1810 fut institué le conseil de l’empire, où les lois et règlements sont soumis à une délibération provisoire ; en même temps les ministères furent réorganisés et fixés au nombre de huit, avec des attributions précises et bien réglées. On prit aussi, la même année, diverses mesures à l’effet de régulariser l’état des finances, l’administration de la Finlande et la valeur des monnaies ; et, l’année suivante, Alexandre fit inaugurer la magnifique cathédrale de Notre-Dame de Casan,
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qui n’est pas le moindre des monuments de son règne.

L’état de la Pologne et l’occupation du duché d’Oldenbourg par les Français amenèrent bientôt un refroidissement qui ne tarda pas à tourner en mésintelligence, et qui eut pour résultat cette fameuse guerre du Nord, terme de la fortune de Bonaparte. Cependant la Prusse, circonvenue de toutes les manières, embrassa le parti du plus fort ; et l’Autriche, à laquelle la Russie venait de faire la guerre, ne voulut pas non plus se brouiller avec le puissant empereur des Français. La Suède seule, gagnée par la promesse de la cession de la Norwége poui l’indemniser de la perte qu’elle avait faite de la Finlande, consentit à oublier les mauvais procédés de la Russie, en signant avec elle, le 24 mars 1812, un traité d’alliance auquel l’Angleterre accéda peu de temps après, et qu’il eût été important pour Napoléon de prévenir. Si la paix de Boukharest, tout à l’avantage de la Russie, ne donna pas à cette puissance un nouvel allié, elle la débarrassa au moins d’un ennemi qui alors était loin d’être abattu, et lui permit de rappeler les troupes nombreuses entretenues par elle entre le Prouth et le Danube. Rien n’égale la rapidité avec laquelle l’armée française se porta par le centre de l’Europe aux frontières de la Russie : elle était déjà sur le Niémen avant qu’on sût qu’elle avait dépassé Berlin, et Alexandre ne fut pas d’abord en mesure de la recevoir. Ses généraux eurent donc l’ordre de se replier vers l’intérieur, ravageant tous les pays qu’ils quitteraient, et faisant tous leurs efforts pour former leur jonction avant que l’ennemi eût atteint la Russie proprement dite. Après avoir relevé le courage des troupes par sa présence, Alexandre se dirigea sur Moscou, où il s’occupa à soulever les masses en stimulant le sentiment national, l’amour de l’indépendance, et l’attachement à la religion du pays. Ces mesures pouvaient paraître d’autant plus tardives que l’autocrate se préparait à la guerre depuis près d’un an ; et l’on s’est étonné avec raison d’un manque de prévoyance que rien ne semblait justifier. L’empereur retourna ensuite au quartier général, d’où il adressa le 1er juillet une nouvelle proclamation à son peuple ; mais il ne prit pas lui-même le commandement de l’armée, confié à Barclay de Tolly, général expérimenté, dont le peuple russe se défiait cependant, comme d’un étranger. On sait qu’après la prise de Smolensk ce commandement passa entre les mains de Koutousof, le principal auteur de la paix de Boukharest, celui que le peuple russe considère comme le sauveur de l’empire.

Il n’est pas probable que l’ordre (s’il a été donné), en vertu duquel Moscou fut mis en cendres, soit émané de l’empereur Alexandre : sa douceur habituelle, son attachement aux progrès de la civilisation, et la timidité avec laquelle il ménageait l’opinion publique, ne permettent pas de