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de dignité, à son exquise politesse, à la simplicité de ses manières. Toujours et scrupuleusement attaché aux pratiques de la religion, il se concilia la classe des prêtres et la masse du peuple. Heureux si plus tard cette piété n’avait pas dégénéré en un piétisme étroit, en même temps que sa haute raison se laissa dominer par l’effroi qu’inspiraient à la plupart des princes les idées libérales que la révolution française venait de répandre chez tous les peuples de l’Europe !

Les hautes qualités du premier consul de la république française avaient frappé l’imagination ardente d’Alexandre, et les premières années de son règne établirent entre eux des relations auxquelles Alexandre attachait le plus grand prix. Dès le 8 octobre 1801, il avait signé avec Bonaparte un traité d’amitié conclu à Paris ; et dans l’année suivante, quand la paix d’Amiens eut rendu le repos à l’Europe, ils réglèrent ensemble la nouvelle constitution territoriale de l’Allemagne. Mais lorsque le premier consul se fit couronner empereur, et qu’il voulut encore placer sur sa tête la couronne de fer des rois de Lombardie ; lorsqu’il se prépara à détruire le peu d’indépendance que la paix d’Amiens avait laissé à la République batave, et qu’il occupa successivement toute la côte septentrionale de l’Allemagne, Alexandre lui fit entendre un langage digne, et se plaignit hautement de cet esprit d’envahissement. « La Russie, dit-il dans une note adressée au cabinet de Saint-Cloud, la Russie (on ne saurait assez le répéter) n’a aucune envie, aucun intérêt à faire la guerre : c’est la force des circonstances qui lui dictera le parti qu’elle aura à choisir. Mais elle est en droit de se flatter que le gouvernement français lui accordera assez d’estime pour se convaincre qu’elle le pourra voir avec une indifférence passive des usurpations nouvelles qu’il se permettrait à l’avenir. » Cependant l’empereur de Russie ne négligea aucun moyen compatible avec sa dignité pour éviter la guerre ; aussi ne fut-ce qu’après avoir vu s’évanouir tout espoir de ramener l’empereur des Français à la modération, qu’il entra contre lui dans la troisième coalition formée par l’Angleterre, l’Autriche et la Suède, et qu’il tira l’épée, malgré les mauvaises dispositions de la Turquie à son égard, et malgré la guerre qu’il faisait déjà à la Perse.

Le 5 octobre 1805, une armée russe fut débarquée en Poméranie, tandis qu’une autre traversa la Prusse, dont le gouvernement hésitait encore à se déclarer contre la France. La bataille d’Austerlitz anéantit, le 2 décembre 1805, la coalition, et décida du sort de l’Allemagne. Les troupes russes regagnèrent la Silésie, et leur souverain se hâta de revenir à Saint-Pétersbourg pour y réunir de nouveaux moyens de continuer la guerre, pendant que François II, son allié, faisait sa paix avec le vainqueur. Un instant on espéra que la bonne intelligence pourrait aussi se rétablir

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entre la France et la Russie ; mais Alexandre ne voulut point ratifier le traité conclu à Paris par M. d’Oubril, et entra bientôt après dans une alliance intime avec la Prusse. Sous les auspices de la reine Louise, Alexandre se lia d’une amitié véritable avec Frédéric-Guillaume III, sur lequel devait bientôt tomber tout le poids de la colère de l’empereur des Français. La nouvelle coalition ne fut pas plus heureuse que la précédente : Bennigsen, un des meurtriers de l’empereur Paul, fut battu à Eylau et à Friedland, comme l’armée prussienne, sous le duc de Brunswick, l’avait été à Iéna ; et l’empereur de Russie fut obligé d’abandonner à son malheureux sort un allié auquel il ne restait plus de son royaume que le territoire de la ville de Memel, située aux confins des deux empires. Mais il fut plus heureux du côté de la Turquie, où ses armées réussirent à soulever les Serbes, tandis que l’amiral Siniavine battit la flotte turque dans l’Archipel. Ces avantages ne purent néanmoins consoler Alexandre des échecs nombreux et sanglants que ses armées avaient essuyés en Prusse : il resta stupéfait de l’activité, de l’immense talent et de la fortune de son adversaire ; et, n’étant point en mesure de continuer une guerre déjà si pernicieuse pour son peuple, il entra en négociations avec le nouveau Charlemagne, arrivé de victoire en victoire jusqu’aux frontières de la Russie.

Les deux empereurs se virent et se parlèrent plusieurs fois, dans le courant de juin de l’année 1807, dans un pavillon dressé sur un radeau au milieu du Niémen, qui sépare, du côté de Memel, la Russie de la Prusse. Le génie du vainqueur de l’Europe, l’entraînement de ses discours, ses manières à la fois brusques et simples, l’adroite flatterie dont il sut le circonvenir, fascinèrent Alexandre au point que son ressentiment fit place aussitôt à une amitié portée jusqu’à l’admiration. Il entra dans toutes les vues de Napoléon au sujet de l’Europe ; et, dans la paix de Tilsit, il sacrifia à ses nouvelles affections un allié fidèle, dépouillé de la moitié de ses États, l’indépendance de tous les États secondaires, et la prospérité même de ses sujets, en adoptant le système continental, désastreux sans doute pour l’Angleterre, mais non moins contraire à tous les intérêts de la Russie, dont ce système paralysa tout d’abord le commerce naissant et l’agriculture. Il embrassa si chaudement la querelle de son nouvel ami, qu’il ne craignit point de lui sacrifier un autre allié, le roi de Suède, dont il récompensa les anciens services par une injustice, excusée peut-être par la politique et par la nécessité de mettre sa capitale à l’abri d’un coup de main, mais indigne des principes sévères d’un prince habituellement juste et loyal. Le malheur n’avait pu faire fléchir le bouillant Gustave-Adolphe IV : opposé à la révolution française depuis son origine, et encore plus prévenu contre celui qui s’en était