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Dès les premiers jours de son règne, Alexandre justifia par de nombreuses mesures un si heureux début. La magistrature, l’administration, l’armée furent épurées, et les sujets indignes qu’y avait introduits Élagabale en furent honteusement chassés. Voulant rendre au sénat la considération que ce corps avait perdue, sans toutefois dessaisir l’autorité impériale de son omnipotence, il assembla, d’après l’avis de sa mère, un conseil de seize sénateurs, auxquels il adjoignit des jurisconsultes célèbres et d’autres personnages éminents au nombre de cinquante, afin que ses ordonnances fussent revêtues du nombre de signatures qui était nécessaire pour rendre valable un sénatus-consulte. Ce fut au sénat qu’il remit la nomination du préfet de Rome ; et il le consulta même pour le choix de son préfet du prétoire, qu’il prit dans ses rangs, afin qu’un sénateur romain n’eût pas la honte d’être jugé, si le cas échéait, par un homme qui n’aurait pas été son égal. Tout juge prévaricateur, tout accapareur spéculant sur la misère du peuple, tout dignitaire vendant sa protection, était recherché et puni selon la rigueur des lois. Toutefois les condamnations étaient rares, parce que les choix étaient intelligents. Mais Hérodien va trop loin quand il dit qu’il n’y eut point sous ce règne d’exécution capitale : il ne faut d’autre exemple pour prouver le contraire que celui de ce Turinus, favori qui promettait son concours à quiconque voulait l’acheter, et qui, sur l’ordre de l’empereur, fut étouffé, au milieu du forum de Nerva, par la fumée de bois vert, tandis que l’exécuteur criait à haute voix : « Que celui qui vendait la fumée périsse par la fumée ! »

Les règnes précédents avaient été signalés par une grande avidité fiscale. Caracalla avait doublé le droit sur les mutations, imposé par Auguste ; il avait transféré au fisc le bénéfice des dispositions testamentaires devenues caduques pour avoir été faites en faveur de célibataires, et qui accroissaient aux pères de famille ; il avait modifié dans le sens le plus favorable à l’État les immunités accordées par la loi Papia ; et pour rendre la perception de ces impôts onéreux plus profitable au trésor, il y avait soumis tous les sujets de l’empire, en leur conférant le droit de cité. Alexandre employa son autorité, et la science des jurisconsultes éminents qui l’entouraient, à diminuer le poids du fardeau par une administration économe ? Il est cependant difficile de supposer que les impôts, ainsi que le prétend Lampride, aient été réduits à la trentième partie seulement de ce qu’ils étaient sous Élagabale, et qu’à cette occasion on ait frappé des monnaies d’or dont la valeur était du tiers de celle des monnaies anciennes. Le texte de l’historien d’Alexandre-Sévère offre en cet endroit des difficultés que les efforts de Casaubon et de Saumaise ne sont pas parvenus à éclaircir. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’on ne possède aucune de ces pièces d’or réduites dont parle Lampride,

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mais que plusieurs types de médailles donnent à Alexandre sur leur légende le titre de restitutor monetae (1)[1]. D’autre part, il fit vendre tous les bijoux, toutes les perles, toutes les pierres précieuses rassemblées par son prédécesseur ; il restreignit les sommes dépensées en spectacles, diminua l’intérêt usuraire qu’exigeaient les capitalistes, défendit même aux sénateurs de prêter à intérêt, laissa aux villes une partie de l’argent qu’elles devaient au fisc, afin qu’elles l’employassent à l’entretien de leurs monuments, et parvint toutefois, par l’ordre qu’il avait adopté dans l’administration des finances, à se montrer souvent généreux. C’est ainsi qu’il établit des écoles gratuites, solda dans les villes de province des avocats chargés de défendre les pauvres, ajouta une distribution de viande aux distributions de blé qui se faisaient au peuple, fit construire des thermes, des greniers publics, et plaça dans le forum Transitorium, ou forum de Nerva, les statues des grands hommes qui avaient honoré l’empire. Alexandre trouva encore moyen de relever la fortune des anciens fonctionnaires (honorati) que des malheurs immérités avaient réduits à l’indigence, tout en remédiant à l’abus d’entretenir un grand nombre de dignitaires qui n’avaient pas de fonctions actives (ascripti, vacantes), et grevaient l’État, sous ses prédécesseurs, de traitements onéreux (2)[2].

Le nombre des rescrits d’Alexandre-Sévère qui sont parvenus jusqu’à nous est assez considérable pour avoir fait l’objet de quelques travaux particuliers (3)[3] ; et, bien qu’on y remarque peu d’innovations dans le droit romain, ils portent tous un caractère humain et religieux qui fait le plus grand honneur à ce jeune prince, ainsi qu’aux hommes qui le guidaient de leurs conseils. Parmi ces derniers brillait au premier rang Ulpien, préfet du prétoire, le plus habile des jurisconsultes de son époque, et dont les fragments qui nous restent de son Liber singularis regularum ont été pour nous le document le plus précieux du droit romain jusqu’à la découverte des Institutes de Gaïus. Ulpien fut, pour ainsi dire, le chef de l’empire pendant les quatre premières années du règne d’Alexandre, qui ne faisait rien sans le consulter, et ne donnait aucune audience qu’il ne fût présent. Les préfets du prétoire, qui n’avaient d’abord exercé qu’une autorité militaire, avaient bientôt étendu leurs attributions, et pris une large part dans l’exercice de la juridiction souveraine. Depuis plusieurs années leurs fonctions étaient devenues judiciaires : ils connaissaient de toutes les causes référées à l’empereur, décidaient les appels des

  1. (1) Voyez Eckhel, D. N. V., t. VII, p. 279.
  2. (2) Jurejurando se constrinxit ne quem ascriptum, id est vacantium haberet, ne annonis rempublicam gravaret ; Lampride, in Alex., ch. xiv.
  3. (3) Voy. Aurelii Alexandri Severi axiomata politica et ethica. Ejusdem rescripta universa, Alex. Chassanei commentariis illustrata ; Paris, 1635.