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835 ALEXANDRE (Princes anciens, MACÉDOINE) 836
qu’il restât où il était. Le 25, les amis d’Alexandre rapportèrent la réponse de Sérapis, et quelques instants après ce prince expira. C’était là le mieux qu’entendait l’oracle (1)[1]. »

A juger par ce récit de Diodore, véritable bulletin de malade, Alexandre mourut d’une fièvre intermittente pernicieuse, à l’âge de trente-deux ans, et dans la treizième année de son règne. Olympias, sa mère, eut donc tort de croire son fils mort empoisonné, et de le venger par des meurtres. Le deuil universel, le désespoir, la consternation que causa la mort d’Alexandre, les larmes de ses soldats, celles de Sisygambis mère de Darius, etc., offrent un tableau sombre et pathétique. Quinte-Curce le trace avec son esprit ordinaire, c’est-à-dire plus en poète qu’en historien, et sans s’apercevoir qu’il en affaiblit beaucoup l’effet par des détails superflus. Toutes les statues et tous les tableaux qui représentaient Alexandre ont péri (2)[2]. Nous n’avons aucune médaille authentique contemporaine qui nous ait conservé ses traits. Il faut donc rassembler sur ce sujet quelques données éparses, incomplètes et, pour la plupart, peu certaines. Ce prince avait les traits réguliers, le teint beau et vermeil, le nez aquilin, les yeux grands et pleins de feu, les cheveux blonds et bouclés, la tête haute, mais un peu penchée vers l’épaule gauche (3)[3] ; la taille moyenne, fine et dégagée ; le corps bien proportionné, et fortifié par un exercice continuel. On remarquait encore qu’il avait l’ouïe délicate, la voix forte, l’haleine douce, la peau très-blanche ; et toute sa personne exhalait, dit-on, une odeur suave. On lui supposait un clignotement ou mouvement très-irrégulier dans les yeux, ce qui devait désigner son amour démesuré de la gloire. Lysippe réussit si bien à exprimer son air terrible, que Cassandre ayant regardé à Delphes une statue qui représentait ce prince, il en frissonna, et éprouva une telle sensation, qu’il eut peine à se remettre des troubles que cette vue lui avait causés : elle lui rappela les mauvais traitements et les menaces qu’il avait reçus de la part d’Alexandre, pour s’être moqué en sa présence de ceux qui l’adoraient.

Les peuples, si souvent vaincus par Alexandre, ne crurent pas d’abord à la nouvelle de sa mort : l’ayant vu si souvent échapper à de grands dangers, ils imaginaient qu’il était immortel. Quand cette mort fut confirmée, ils le regrettèrent comme leur père. Au contraire, les Macédoniens se réjouirent d’en être débarrassés, à cause de sa trop grande sévérité et des périls continuels auxquels il les exposait. Leurs chefs partageaient ces sentiments, mais pour des motifs différents, la cupidité et l’ambi-

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tion (1)[4]. Ces observations judicieuses de Justin peuvent servir de réponse aux questions de Montesquieu, enthousiaste d’Alexandre. « Qu’est-ce que ce conquérant, qui est pleuré de tous les peuples qu’il a soumis ? Qu’est-ce que cet usurpateur, sur la mort duquel la famille qu’il a renversée verse des larmes ? C’est un trait de cette vie dont les historiens ne nous disent pas que quelque autre conquérant puisse se vanter. » On ne peint pas toujours les hommes par les effets que produit leur mort. Celle d’Alexandre jeta d’abord tout dans une si étrange confusion, que, suivant un mot de Léosthène, son armée ressemblait au Cyclope qui, après avoir perdu son œil, portait çà et là ses mains, sans savoir où il allait. Il ne pouvait résulter de cet état de choses que beaucoup de calamités, et on les prévoyait sans peine ; car l’homme s’affecte plus de l’avenir que du passé, et ce qu’il croit lui-même être l’effet de l’amour n’est souvent que celui de la crainte. Ayant perdu l’âme qui dirigeait tout, on laissa le corps d’Alexandre pendant plusieurs jours sans lui rendre les honneurs funèbres. » Lorsque les amis d’Alexandre purent, dit Quinte-Curce, s’occuper de son corps, ils le trouvèrent intact sans la moindre marque de corruption, et avec cette figure vermeille qui annonce la vie. » Les Égyptiens et les Chaldéens, chargés de l’embaumer à leur manière, n’osèrent d’abord y mettre la main, comme s’il eût encore respiré ; puis, l’ayant supplié de permettre à des mortels de le toucher, ils le nettoyèrent, l’embaumèrent, et le mirent sur un trône d’or, avec les ornements royaux sur la tête. Conformément aux dernières volontés d’Alexandre, son corps devait être transporté au temple de Jupiter-Ammon ; mais cette disposition fut changée par Ptolémée, qui sentait toute l’importance d’être en possession d’un pareil dépôt. Le devin Aristandre avait assuré l’armée macédonienne que les dieux lui avaient révélé qu’Alexandre ayant été de son vivant le plus heureux des rois, la terre qui recevrait le corps serait parfaitement heureuse, et n’aurait jamais à craindre d’être dévastée. Rien n’a égalé la magnificence du char sur lequel fut transporté le corps d’Alexandre ; la description que nous en a conservée Diodore de Sicile paraît avoir été tirée de l’ouvrage d’Éphippus d’Olynthe, sur la mort et les funérailles d’Héphestion et d’Alexandre. Ce char funèbre, construit par Hiéronyme, fut mis au nombre des chefs-d’œuvre de la mécanique, tels que le bûcher de Denys l’Ancien à Syracuse, exécuté par Timée ; l’hélépole de Démétrius-Poliorcète, par Dioclide d’Abdère ; le fanal de Persée, par Polyclète ; et le grand navire d’Hiéron, construit sous la direction d’Archimède. Les travaux relatifs au char d’Alexandre durèrent près de deux ans ; et pendant ce temps-là on plaçait le corps de ce prince au
  1. (1) Plutarque, Vit. Alex. — Arrien, Vit, 25.
  2. (2) Pline, XXXV, 37.
  3. (3) Selon d’autres, la tête était penchée vers l’épaule droite. Voyez sur ce vice de conformation, considéré sous le point de vue de l’art plastique et de la médecine, un Intéressant article du docteur Dechambre, dans la Gazette médicale, année 1851.
  4. (1) Justin, XIII, 1.