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833 ALEXANDRE (Princes anciens, MACÉDOINE) 834

pour renfermer les cendres de Philippe, son, père. Les Macédoniens applaudirent beaucoup à ces dispositions ; mais ils jugèrent qu’il leur était impossible d’accomplir tous les projets d’Alexandre.

Tous ces rêves de l’ambition allaient bientôt s’évanouir : le rôle éclatant et terrible qu’Alexandre avait joué sur la scène du monde était sur le point de finir. « Lorsque Alexandre, dit Diodore, parut être parvenu au comble du bonheur et de la puissance, le destin coupa le fil des jours que la nature lui accordait encore. La Divinité annonça aussitôt sa mort par plusieurs présages et signes extraordinaires. » Au parti qu’Alexandre prit d’abord d’errer aux environs de Babylone, et aux anxiétés que lui causaient de nouveaux présages, on ne reconnaît plus l’homme de génie qui avait su employer si habilement le pouvoir de la superstition. Veut-il se défaire d’un sujet dont il soupçonne la fidélité ? le devin Aristandre interprète un songe de ce prince, et le fils d’Arope est déposé de sa charge. L’apparition d’un aigle lui suffit pour rejeter le sentiment de Parménion, vieux capitaine qui avait beaucoup de crédit sur l’esprit des soldats. Sous les murs de Thèbes, au siège de Tyr, sur les bords du Jaxarte, etc., partout il s’était montré supérieur aux faiblesses de la superstition, et en avait tiré le parti que les circonstances exigeaient. Mais s’imagine-t-il que tout lui annonce une mort prochaine ? aussitôt il devient le plus superstitieux des Grecs ; son palais est plein de gens qui offrent des sacrifices : les uns y font des cérémonies expiatoires ou des purifications ; d’autres prophétisent. « L’incrédulité, ajoute le sage Plutarque, et le mépris du culte religieux sont sans doute des maux fort grands ; mais la superstition n’en est-elle pas un plus grave ? Elle gagne toujours, comme l’eau, les parties basses, et nous remplit de folie et de terreur sur les événements de la vie (1)[1]. »

A peine Alexandre, encouragé par Anaxarque et quelques autres philosophes, est-il rentré dans Babylone, qu’il s’en repent, blâme ceux qui le lui ont conseillé, et admire, suivant Diodore, l’art et la pénétration des Chaldéens. Toute la conduite du héros macédonien n’est plus désormais que l’effet d’une étrange et déplorable pusillanimité. Sur ces entrefaites arrivent les députés de la Grèce : c’étaient des théores dont les fonctions avaient du rapport à la religion. Ils venaient mettre sur la tête d’Alexandre des couronnes d’or, au nom de leur patrie, et lui décernaient ainsi les honneurs divins. Ce fut encore un funeste présage. Pour juger les derniers moments de ce prince, et pour connaître la véritable cause de sa mort, il faut jeter les yeux, sur un fragment précieux de ses Éphémérides. Nous croyons devoir le rapporter, d’après Plutarque et Arrien, qui nous l’ont conservé. « Le 17

NOUV. BIOGR, UNIVERS. — T. I.

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du mois Dœsius (8 août), Alexandre assista à un repas chez Médius. S’étant ensuite baigné, il soupa, et but fort avant dans la nuit. Le 18, il prit encore un bain, mangea peu, et dormit ayant la fièvre. Le 19, après s’être baigné, il vint dans son appartement, et passa la journée à jouer aux dés avec Médius. Le soir du même jour, s’étant encore baigné et ayant sacrifié aux dieux, il soupa, et pendant la nuit il eut la fièvre. Le 20, il se baigna, et, porté sur son lit, il sacrifia comme à l’ordinaire, et resta couché jusqu’au soir dans sa chambre de bains, où il entendit la relation que Néarque lui fit de son voyage sur l’Océan. En conséquence, il donna ordre aux troupes de terre de se tenir prêtes à partir dans quatre jours, et aux gens de mer dans cinq. Le 21, il fit la même chose que la veille ; la fièvre augmenta, et il eut une fort mauvaise nuit. Le 22, la fièvre fut encore plus violente ; il voulut être porté jusqu’au fleuve, qu’il traversa en bateau. Il passa la journée dans un beau jardin près d’un grand étang, s’entretint avec ses capitaines sur les places vacantes dans son armée, et leur dit qu’on ne devait les donner qu’à des officiers expérimentés. Ensuite, s’étant baigné, il se reposa. Le 23. après le bain et le sacrifice, sa fièvre augmenta ; il donna encore des ordres aux officiers de sa flotte. Sur le soir, s’étant baigné, le mal empira beaucoup. Le 24, on eut bien de la peine à le porter au lieu du sacrifice. Il ne renouvela pas moins ses ordres concernant l’expédition maritime qu’il projetait. Le 25, quoiqu’il fût plus malade, il prit un bain et fit les sacrifices accoutumés. Il entra dans sa chambre de lit, et s’entretint avec Médius. Il fixa le départ de sa flotte, qui devait se faire dans trois jours. Il enjoignit aux principaux capitaines de faire la garde, le jour, dans la cour du palais ; et aux taxiarques et pentacosiarques de veiller, la nuit, aux portes. Il soupa peu, et eut la fièvre toute la nuit. Le 26, il se fit transporter aux jardins du palais, situés au delà de l’étang. Il y dormit un peu, mais la fièvre ne diminua point. Ses capitaines étant entrés, il les reconnut tous, sans pouvoir néanmoins leur parler. La fièvre augmenta encore dans la nuit. Le 27, son état fit croire aux Macédoniens qu’il n’était déjà plus, et qu’on leur cachait sa mort. Ils vinrent en tumulte, en poussant de grands cris, aux portes du palais, et par leurs menaces forcèrent les gardes à les ouvrir. Ils entrèrent tous, en passant l’un après l’autre près du lit. Mais Alexandre avait perdu la parole. Levant avec peine la tête et faisant signe des yeux, il tendait la main à chaque soldat. Ce même jour. Python, Attalus, Démophon et Peuceste avaient passé la nuit dans le temple de Sérapis ; ils y furent joints par Cléomène, Ménidas et Séleucus. Ils demandèrent tous ensemble à ce dieu de leur apprendre s’il ne conviendrait pas qu’Alexandre fût transporté dans son temple, pour y être traité comme son suppliant. Le dieu répondit qu’il valait mieux
  1. (1) Plutarque, Vit. Alex., 97.

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