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825 ALEXANDRE (Princes anciens, MACÉDOINE) 826
contre Callisthène avec tous les sophistes dont la cour d’Alexandre était pleine (1)[1]. Ces hommes pervers, organes de la flatterie et artisans du crime, ne cherchaient qu’à faire briller leur esprit aux dépens de la vérité et de la vertu. Ils s’attachaient principalement à combattre les principes de la raison les plus évidents et les plus incontestables. Callisthène n’oublia rien pour les décrier ; ce qui fut la principale cause de sa perte. Voyez CALLISTHENE.

Le conquérant de l’Asie se mit de plus en plus à négliger les usages de sa patrie, et s’abandonna à tout le faste asiatique. Rien n’égala celui qu’il fit paraître dans la célébration du mariage de neuf mille filles perses avec autant de Macédoniens, à Suse, à son retour des Indes. Il épousa lui-même Statira, fille aînée de Darius, et Parysatis, fille puînée d’Ochus. Celle-ci était donc sa troisième femme, puisqu’il avait déjà Roxane. Voulant qu’Héphestion, son ami le plus tendre, devînt son beau-frère, il lui fit épouser Drypatis, autre fille de Darius. Cratère, qu’il aimait aussi beaucoup, épousa par ses ordres Amastris, fille d’Oxyartes, frère de ce roi perse. Alexandre distribua les autres princesses ou filles des grands seigneurs perses aux quatre-vingts principaux officiers de son armée. Tous réunis sous une seule tente, ils étaient couchés sur quatre-vingt-douze lits ornés de tapis de pourpre, non compris celui du conquérant macédonien, dont les pieds étaient d’or. Les noces se firent entièrement à la manière perse. Après qu’on eut bu, les fiancées entrèrent, s’assirent à côté de leurs époux, et en reçurent les premiers baisers. Le goût de la volupté fit tomber Alexandre dans la débauche et dans toutes sortes d’excès : il cessa même d’être, pour ainsi dire, homme ; et, après avoir surpassé la gloire militaire de son père, il lui devint très-inférieur en bonté et en clémence. Depuis la mort de Pannénion et de Clitus, il prêta l’oreille aux plus infâmes délateurs ; et, à l’instigation de ses compagnons de débauche, il condamna plusieurs personnes à mort. Plein d’injustes soupçons, il se hâtait de punir les moindres fautes ; inexorable, il faisait exécuter ses arrêts avec la dernière rigueur (2)[2]. Enfin, il tua de sa propre main des hommes distingués, soit par leur naissance, soit par leur place, entre autres Orsodates, qui s’était révolté contre lui. La dévastation du pays de Sambus et de celui des Pattaliens, l’incendie de la ville des Magalasiens, le crucifiement de Musican, prince indien, le supplice de plusieurs brachmanes qui avaient excité leurs compatriotes à défendre leur liberté, enfin le sac de plusieurs villes indiennes qui osèrent arrêter ou retarder l’exécution de ses projets, prouvent assez le penchant d’Alexandre à la cruauté. Après avoir accordé la paix à une ville

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indienne, ce prince retourna bientôt sur ses pas, entra dans cette malheureuse cité, et en massacra tous les habitants.

Reprenons maintenant le fil de son expédition. Nous l’avons laissé à Bactres, d’où il partit au commencement du printemps, pour repousser les Scythes et Spitamène, qui avaient fait des incursions dans la Sogdiane. Cratère avait défait les Scythes ; il envoya la tête de Spitamène à Alexandre, qui mit ses troupes en quartier d’hiver à Mantaca. La campagne suivante est remarquable par la prise de deux places qui passaient pour inexpugnables : l’une était défendue par Oxyartes, et l’autre par Chariènes.

Cratère remporte une victoire signalée dans la Paratacène, et Alexandre retourne à Bactres, où Callisthène est jeté dans les fers. Alexandre traverse ensuite les montagnes du Paropamise, et entre dans l’Inde ; il subjugue plusieurs petits peuples, et assiège Mazaga. Cette ville lui oppose la plus vive résistance, et ne se rend qu’après quatre attaques : quoiqu’elles paraissent avoir été fort meurtrières, Arrien cependant n’y fait perdre aux Macédoniens que vingt-cinq hommes. Après la prise de Mazaga, les Macédoniens marchent contre les Basiriens. Ceux-ci ayant été défaits, se retirent sur le rocher Aome, qu’Hercule disait n’avoir pu prendre. Ils se maintiennent d’abord dans ce poste, et l’abandonnent ensuite. Alexandre arrive à Nysa, entre le Cophène et l’Indus, et accorde la paix à cette ville en considération de Bacchus, son fondateur. On ne voit pas sans quelque surprise les actions d’Hercule et de Bacchus transportées dans des contrées où leurs noms même n’avaient jamais été connus. Souvent la flatterie et la vanité conspirent ensemble contre la vérité. Ces sentiments portèrent les Blacédoniens à croire aux exploits d’Hercule en Asie, et à accréditer la fable des voyages de Bacchus aux Indes. Ils voulaient par là faire naître l’idée d’un parallèle entre ces deux divinités et Alexandre, dont ils partageaient la gloire.

Après avoir traversé les montagnes du Paropamise et passé plusieurs rivières, entre autres le Cophène, Alexandre jette un pont sur l’Indus. Il y a bien de l’incertitude sur la manière dont il agit en cette occasion ; Arrien fait ici une digression sans doute curieuse, mais déplacée, sur l’art de construire les ponts de campagne chez les Romains (1)[3]. Après avoir passé l’Indus, Alexandre entra dans le pays de Taxile. Ce prince indien vint au-devant de lui, et l’exhorta à ne point porter la guerre dans ses États ; il lui proposa un nouveau genre de combat, le seul que les hommes dussent connaître, celui des bienfaits. La proposition fut acceptée et Alexandre resta vainqueur. Il fit présent à Taxile de toute la contrée entre l’Hydaspe et l’Hyphase, qui renfermait cinq mille villes, ha-

  1. (1) Plutarque, Vie d’Alexandre.
  2. (2) Quinte-Curce, X, 1.
  3. (1) Arrien, V, 7.