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ALEXANDRE (Princes anciens, MACÉDOINE

macédonienne, marchant sur ses traces, tâcha de se mettre en ligne ; et, arrivée sur l’autre bord, elle forma la phalange, qui, avec tout son front hérissé de longues piques, fut bientôt en état d’agir. La victoire se déclara alors pour Alexandre. La cavalerie perse prit la fuite, et les mercenaires grecs furent taillés en pièces[1]. Quoique le succès ne répondit pas aux sages dispositions que Memnon avait faites, les Perses opposèrent une vigoureuse résistance. La grande faute qu’on leur reproche, c’est d’avoir tenu leur infanterie dans l’inaction au commencement de la bataille[2]. Arrien, qui décrit ce combat mémorable avec beaucoup d’exactitude, paraît exagérer leur perte : selon lui, aucun des Grecs mercenaires n’échappa, à l’exception de deux mille, faits prisonniers[3]. Diodore, en la réduisant à douze mille hommes, ne s’éloigne peut-être pas de la vérité[4].

Alexandre se signala dans cette journée par une grande habileté et une rare valeur. La conquête de l’Asie Mineure devait être le fruit de la victoire du Granique ; et les Grecs qui l’habitaient étaient tout disposés à secouer le joug des Perses, ou plutôt à changer de maître. Alexandre profita de ses avantages avec autant de célérité que de sagesse. Arrivé à Éphèse, il y détruisit l’oligarchie et mit le gouvernement entre les mains du peuple, sans lui permettre néanmoins tous les actes de fureur et de vengeance qu’une pareille révolution entraîne ordinairement[5]. Les débris de l’armée vaincue se réfugièrent aussitôt à Milet, et s’y enfermèrent. Il emporta cette ville d’assaut, laissa aux habitants la vie et la liberté, et renvoya sa flotte, qu’il ne pouvait conserver faute d’argent, et dans la crainte de compromettre sa gloire dans un combat naval[6]. L’Étolie et l’Ionie se soumirent à lui : il y rétablit partout la démocratie, pour s’attacher davantage la multitude et l’occuper par ses propres dissensions. Il s’avança ensuite vers la Carie, résolu de s’emparer d’Halicarnasse. Memnon ne lui livra la ville, en se retirant, qu’après avoir épuisé tous les moyens de défense, et toutes les ressources qu’un génie fécond et une longue expérience peuvent fournir. Après le siège d’Halicarnasse, Alexandre renvoya les jeunes gens qui s’étaient mariés peu de temps avant son départ, pour leur faire passer l’hiver en Macédoine avec leurs femmes. Ptolémée les conduisait, et avait ordre de lui ramener un renfort de cavalerie et d’infanterie[7]. Rien n’était plus capable d’accélérer la levée de troupes que l’arrivée de ces jeunes gens. Au besoin qu’Alexandre avait de ce renfort, se joignit la crainte que les Grecs ne profitassent de son absence pour recouvrer leur liberté. Ainsi il fortifia ses troupes de l’élite de leur jeunesse, affaiblit par là les leurs, et contraignit à son service les mains qui, éloignées de lui, eussent peut-être été employées à porter de funestes coups à sa puissance. Sur ces entrefaites, Alexandre, fils d’AErope, frère des deux hommes complices de l’assassinat de Philippe, est dénoncé comme ayant conspiré contre la vie du conquérant macédonien. Ce dernier lui pardonna, en considération qu’à la mort de son père il s’était le premier déclaré pour lui, et que, couvert de son bouclier, il l’avait accompagné dans le palais des rois ses ancêtres[8]. De semblables actions excitèrent à la fois l’admiration et l’enthousiasme ; on fit bientôt intervenir les dieux, d’une manière spéciale et miraculeuse, dans les événements qui parurent extraordinaires aux yeux d’Alexandre et de ses compagnons d’armes.

Après avoir défait les Pisidiens et pris Célœnes dans la Phrygie, Alexandre s’avança jusqu’à Gordium, ancienne capitale de cette contrée ; de là il dirigea sa marche du côté de l’Orient, et arriva à Ancyre. C’est dans cette dernière ville qu’il reçut les envoyés paphlagoniens qui venaient se soumettre à lui au nom de la nation, et le prier de ne point faire entrer son armée dans leur pays ; demande qui leur fut accordée, à condition qu’ils obéiraient à Calas, satrape de Phrygie[9]. Le récit de Quinte-Curce, qui fait pénétrer l’armée macédonienne en Paphlagonie n’est donc pas vrai : il est encore démenti par le propre témoignage de cet historien, qui fait marcher Alexandre de Gordium à Ancyre. Ce prince laissa, dans sa route, la Paphlagonie à sa gauche[10]. Ce fut à Gordium qu’il défit les fameux nœuds compliqués autour du joug d’un char, pour accomplir l’oracle qui avait mis à ce prix l’empire de l’Asie. La Cappadoce se rendit à Alexandre, qui campa avec son armée dans le même endroit où Cyrus le Jeune avait séjourné en marchant à Cunaxa.

L’itinéraire de l’armée d’Alexandre s’accorde parfaitement avec celui de Cyrus le Jeune. Arrien, qui nous le trace toujours avec son exactitude accoutumée, dit que le conquérant macédonien campa, avant d’entrer dans les gorges de Cilicie, dans le même lieu où ce prince perse, avec les dix mille Grecs, avait établi son camp[11]. Sur ces entrefaites Memnon, à la tête d’une flotte de trois cents voiles, et ayant le commandement des armées perses de terre et de mer, s’empara de Chio, ensuite des villes de l’île de Lesbos, à l’exception de Mytilène. Suivant Diodore, à peine ce général eut-il pris cette ville, qu’une maladie violente l’enleva. La perte de Memnon porta un coup fatal à l’empire de Darius.

Les Macédoniens descendirent dans les plaines

  1. Arrien, 1, 18.
  2. Diodore de Sicile, XVII, 21.
  3. Arrien, I, 17.
  4. Diodore de Sicile, XVII, 21.
  5. Arrien, I, 15.
  6. Diodore de Sicile, XVII, 22. — Arrien, I, 19.
  7. Arrien, 1, 24.
  8. Arrien, l, 25.
  9. Ibid., II.4.
  10. Quinte-Curce, III, 1.
  11. Arrien, II. 4.