Page:Hoefer - Biographie, Tome 1.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
309 ADRIEN 310

vice, ou trop vieux pour ne pas jouir d’un repos mérité. La tactique des barbares était elle-même mise à profit : il fallait tirer de l’arc comme les Parthes, se servir de la fronde comme les Rhodiens, manier ses chevaux comme les Numides. Aussi, nous apprend Dion, les barbares, voyant un jour la cavalerie batave traverser sans hésitation l’Ister à la nage, furent tellement effrayés de cette hardiesse, qu’ils se soumirent ([1]). Et cette pratique à laquelle Adrien exerçait ses troupes, dont il leur donnait lui-même l’exemple, il en possédait parfaitement la théorie. Il écrivit plusieurs traités sur l’art militaire, bien qu’il ne nous reste plus de lui à ce sujet qu’un ordre de bataille contre les Alains, qu’Arrien avait inséré dans un de ses ouvrages ([2]). Végèce reconnaît également avoir emprunté aux constitutions d’Adrien sur la discipline militaire une partie de ses documents.

De la Germanie Adrien passa dans la Grande-Bretagne, et là il résolut de mettre obstacle aux incursions continuelles des Pietes, qui, descendant à l’improviste des montagnes de la Calédonie, venaient ravager le pays soumis aux Romains. En conséquence il employa la deuxième légion, ainsi que le prouve une inscription trouvée sur les lieux ([3]), à construire une immense muraille au sud de la chaîne des monts Cheviots qui séparent aujourd’hui l’Angleterre de l’Ecosse, entre le golfe du Solway dans la mer d’Irlande, et l’embouchure de la Tyne dans l’océan Germanique. Ce mur gigantesque avait, dit Spartien, quatre-vingts milles de longueur. Toutefois ce calcul n’est qu’une approximation ; et le colonel Alexandre Gordon, qui a mesuré avec le plus grand soin l’étendue de cette construction d’après les nombreux vestiges qui en existent encore, l’a fixée à soixante-huit milles anglais, formant soixante-quatorze milles romains (Itinerarium septentrionale, c. ix). Adrien ne fit-il que fortifier ainsi la Bretagne contre l’invasion, ou porta-t-il la guerre dans le pays, c’est une question qui semblait difficile à résoudre, dans la pénurie où nous sommes de documents historiques relatifs à ce sujet. Le silence de Dion et de Spartien sur les expéditions militaires d’Adrien dans cette contrée a longtemps paru concluant, malgré le témoignage d’une inscription contemporaine dans laquelle il est question d’un tribun envoyé in expeditionem Britannicam ([4]). Mais nous croyons qu’on peut tirer de la découverte récente des Épîtres de Fronton une conclusion contraire à celle qui avait été généralement adop-


tée. En effet, dans une lettre de cet orateur à Lucius Vérus, on lit : Avo vestro Hadriano imperium obtinente, quantum militum a Judæis, quantum a Britannis cæsum ([5]) ; et, comme confirmation de ce témoignage, une inscription trouvée cette année (1851) à Ferentino vient mentionner encore l’expédition dirigée sous Adrien contre la Bretagne ([6]). Resterait à fixer l’époque de cette guerre : or Spartien ayant dit, ainsi que nous l’avons vu, qu’à la mort de Trajan la Bretagne était soulevée, tout nous porte à croire que la guerre à laquelle font allusion le passage de Fronton et les monuments épigraphiques que nous avons cités se rapporte aux premières années du règne d’Adrien, et précède peut-être son arrivée dans cette province, qu’il aurait achevé de soumettre.

S’il faut en croire Spartien, ce fut pendant le séjour d’Adrien en Bretagne qu’éclata plus ouvertement que jamais le mécontentement qu’il éprouvait depuis longtemps de la conduite de l’impératrice Sabine ; mécontentement qui d’ailleurs était bien mutuel, puisque d’une part Adrien répétait souvent que, s’il n’eût été qu’un simple particulier, il eût répudié une femme morose et acariâtre, tandis que Sabine portait la haine de son époux, à ce que dit Aurélius Victor, jusqu’au point de se vanter d’employer tous les moyens nécessaires pour ne pas concevoir, dans la crainte d’enfanter un monstre qui fût le fléau du genre humain ([7]). Cette fois le mécontentement d’Adrien avait moins pour cause l’humeur bizarre de Sabine que les assiduités de Septicius Clarus, préfet du prétoire, de l’historien Suétone, alors secrétaire de l’empereur, et de quelques autres courtisans, dont l’indiscrète familiarité pouvait compromettre l’honneur du prince. Ils furent disgraciés, et durent quitter la cour. Spartien ([8]) ajoute à cette occasion qu’une police secrète parfaitement organisée instruisait Adrien des détails les plus cachés de la vie des hommes admis dans son intimité. Une femme avait écrit à son mari pour se plaindre de ce qu’il la négligeait, malgré sa tendresse, et la sacrifiait à de joyeux compagnons ou à des parties de plaisir. Le lendemain, ce mari non converti demande à l’empereur un nouveau congé. Adrien lui répète dans les mêmes termes les mêmes reproches qu’il avait déjà reçus la veille, et le laisse persuadé que sa femme a choisi l’empereur pour confident de ses doléances. On reconnaît à cette inquisition minutieuse l’esprit de domination et de vanité, qui ne négligeait aucun moyen d’assurer sa supériorité sur tout ce qui l’entourait. De la Bretagne Adrien revint dans les Gaules, et

  1. (1) Si l’inscription rapportée par Gruter, p. dlxii, 3, était sincère, elle ferait allusion au passage du Danube par les Bataves, en célébrant le courage du soldat de ce corps qui le premier, parmi ses compagnons d’armes, traversa le fleuve en cette occasion.
  2. (2) Un fragment de la tactique d’Urbicius, donné par Saumaise, avait fait penser qu’elle appartenait à Adrien ; mais on a reconnu depuis que cette tactique est bien de Lollius Urbicius, qui commandait en Bretagne sous le règne d’Antonin, bien que les matériaux les plus importants en soient tirés des écrits d’Adrien sur le même sujet.
  3. (3) imp. cæs. tra. hadriano. avo. leg. ii, avg. f.
  4. (4) Voy. Reinesius, classis sexta, CXXIIX.
  5. (1) Voyez le recueil des lettres de Fronton découvertes dans la bibliothèque Ambroisienne par Mgr Mai, et publié à Rome, 1823, p. 200.
  6. (2) suédois
  7. (3) Quæ paiam jactabat se elaborasse ne ex eo ad humani generis perniciem gravidaretur. (Aur. Vict, Epit., c. xiv.)
  8. (4) Voy. Adr., c. x.