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Ne croyez pas qu’il va retracer les faits d’armes dont il fut le héros autrefois, les batailles qu’il gagna. Sa main vaillante, habituée à manier l’épée, mais inhabile au dessin, saurait mieux conduire les soldats au combat que les aligner dans une peinture ; mais il exprimera tout autour de lui le sentiment qui le domine, qui le brise, le regret de sa couronne et de sa liberté perdues, et il s’écriera comme le Dante :

Il n’y a au monde si grande detstresse
Du bon tempts son souvenir ey la tristesse

[1]

Dans ce peintre improvisé se révèle du premier coup l’homme habitué aux grandes choses. Pas d’hésitation, pas de mièvreries. Cette décoration, — car c’en est une vraiment, et des plus belles, — est exécutée dans un style grandiose, plein de hardiesse et d’énergie.

Empressons-nous de décrire ce qu’on en voit encore, car le salpêtre en détruit tous les jours une partie, et ses efflorescences cristallines recouvrent les murs qui tombent en poussière avec les précieuses peintures.

C’est la cheminée qui fut, croyons-nous, le premier objectif de ses ornementations. Comme aux larges manteaux des vieux foyers gothiques, au lieu du blason féodal, il plaça son portrait, plus grand que nature, casque en tête

  1. Ces deux vers sont une traduction de ce passage du Dante :

    Nessun maggior dolore
    Che ricodasi del tempo felice
    Nelia miseria.

    Ils sont placés dans la chambre au-dessus du pont-levis, mais ils nous paraissent de Sforza ; nous retrouvons là des inscriptions de lui, entre autres les mots mystérieux SAV SAN (dont nous parlerons plus loin), renfermés dans un cœur, et au milieu la lettre F. Le cœur aussi se retrouve dans les peintures du cachot. — Il est à remarquer que toutes les inscriptions attribuées au duc de Milan sont en français.