Page:Histoire du donjon de Loches par M. Edmond Gautier.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garde la plus sévère ; puis, sur de nouveaux soupçons sans doute, il fut amené à Loches et enfermé dans le cachot qui porte encore son nom[1].

Les précautions et les rigueurs dont il fut l’objet sont justifiées par l’importance du prisonnier. C’était un captif singulièrement précieux et un ennemi redoutable, ce prince qui avait tenu si longtemps en échec les armes françaises, et duquel on avait pu dire dans une chanson populaire :

Christo in cielo, e il Moro in terra
Sol sa il fin di questa guerra.

[2]

Là, dans l’humide et sombre cachot où le jour ne pénètre qu’à travers un mur de huit pieds d’épaisseur par une fenêtre de trois pieds carrés à double grillage, le soldat vaincu, le prince qui avait fait construire des palais, qui avait goûté les jouissances du rang suprême, de la richesse et des arts — seul, sans conseils, presque sans lumière, — choisit pour combattre le chagrin qui le ronge, le moyen le plus extraordinaire, le plus étranger à ses habitudes, le plus difficile, nous allions dire le plus impossible dans sa situation, — il se fait peintre. — Ses yeux s’habituent a l’obscurité ; il obtient des couleurs, des pinceaux, des échelles ; le soldat devient artiste, et il jette sur les murs sombres de son cachot une composition bizarre, originale, pleine de grandeur et de caractère.

  1. Ces détails sont tirés d’un excellent livre de M. Antonio Rusconi, avocat à Novare : Lodovico il Moro e sua cattura in Novara
  2. Un vieux poème, reproduisant la même pensée, le faisait parler ainsi de sa prison :

    Son quel Ducha di Milano
    Che col pianto sto in dolore…
    Io diceva que un sol Dio
    Era in ciela, e un Moro in terra ;
    E secondo il mio disio
    Io faceva pace e guerra