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DISCOURS PRÉLIMINAIRE SUR LA MÉTAPHYSIQUE.

Un des plaisirs des plus délicats dont on puisse jouir, c'est celui que cause l'acquisition d'une vérité pure, qui est absolument étrangère aux sens. Il semble que l'ame soit alors détachée du corps. Elle est uniquement occupée. Rien ne trouble sa jouissance. Entierement livrée à elle-même, elle sent qu'elle existe véritablement ; et cette conviction d'être bien assurée qu'elle est, et de le comprendre, est sans doute la plus grande félicité qu'il soit possible d'éprouver. Les plaisirs des sens ne sont vifs qu'autant que l'ame est émue. Eh ! en quoi cette émotion peut-elle être agréable, si ce n'est parce qu'elle procure à l'ame le sentiment de son existence, en la mettant en action ? L'ennui n'est sans doute qu'une privation de ce sentiment, comme le bonheur en est la possession.

Cela étant, une science qui n'a pour objet que les opérations et les affections de l'esprit, doit être extrêmement précieuse à l'homme qui tient au monde par le plaisir. Telle est celle de la Métaphysique. Dieu, l'entendement, et les êtres en général ; en voilà les sujets sur lesquels elle s'exerce. Elle apprend à penser, à réfléchir, à se connoître, à connoître les hommes, à jouir de soi-même, et à s'élever vers le Souverain-Etre, dont la contemplation forme la satisfaction la plus complette. L'art de penser est la principale partie de cette Science, puisque la pensée est la première opération de l'esprit. La réflexion n'est que la suite de la pensée, ou pour mieux dire, ce n'est que la pensée continue. C'est par elle que nous jugeons presque de tout, et que nous parvenons à passer une vie douce et tranquille, en dévoilant et les biens actuels et les maux à venir. Ainsi lorsque ces maux sont la suite de la jouissance de ces biens, la réflexion nous avertit, ou de n'en pas faire usage, ou de les modifier de façon qu'il n'en résulte aucun accident fâcheux. Cet acte de l'entendement par lequel nous comparons les avantages d'une chose avec ses désavantages,