De très-grands esprits, aussi respectables par leur piété que par leurs lumieres,[1] n’ont pu s’empêcher d’avoüer, que la convenance & l’ordre ne paroissent pas si exactement observés dans l’Univers, qu’on ne fût embarassé pour comprendre comment ce pouvoit être l’ouvrage d’un Etre tout sage & tout puissant. Le mal de toutes les especes, le desordre, le vice, la douleur, leur ont paru difficiles à concilier avec l’empire d’un tel Maitre.
Regardez, ont-ils dit, cette Terre ; les mers en couvrent la moitié ; dans le reste, vous verrez des rochers escarpés, des régions glacées, des sables brulants. Examinez les mœurs de ceux qui l’habitent : vous trouverez le mensonge, le vol, le meurtre, & par tout les vices plus communs que la vertu. Parmi ces êtres infortunés, vous en trouverez plusieurs desesperés dans les tourmens de la goute & de la pierre ; plusieurs languissans dans d’autres infirmités que leur durée rend insupportables : presque tous accablés de soucis & de chagrins.
Quelques Philosophes paroissent avoir été tellement frappés de cette vûë, qu’oubliant toutes les beautés de l’Univers, ils n’ont cherché qu’à justifier Dieu d’avoir créé des choses si imparfaites. Les uns, pour conserver sa sagese, semblent avoir diminué sa puissance ; disant qu’il a fait tout ce qu’il pouvoit faire demieux : [2] Qu’entre tous les Mondes possibles, celui-ci, malgré ses défauts, étoit encore le meilleur. Les autres, pour conserver la puissance, semblent faire tort à la sagesse. Dieu, selon eux, pouvoit bien faire un Monde plus parfait que celui que nous habitons : mais il auroit fallu qu’il y employât des moiens trop compliqués ; & il a eu plus en vûë la maniere dont il operoit, que la perfection de l’ouvrage[3]. Ceux-ci se servent de l’exemple du Peintre, qui crut qu’un cercle tracé sans compas prouveroit mieux son habileté, que