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qu’à 20 ou 30 deniers[1]. Mais, après que le sage Bohémond fut arrivé, il fit venir par mer un abondant ravitaillement. Il en venait des deux côtés à la fois, par terre et par mer, et une grande prospérité régna dans l’armée du Christ.

[8.] Le jour de l’Ascension du Seigneur[2], nous commençâmes à attaquer la ville de tous côtés et à construire des machines de bois et des tours de bois, afin de pouvoir renverser les tours de l’enceinte[3]. Pendant deux jours, nous abordâmes la ville avec tant de courage et d’ardeur que nous sapions ses murailles. Les Turcs qui étaient dans la ville envoyèrent un message à ceux qui arrivaient au secours de la cité. Il était ainsi conçu : « Approchez-vous hardiment et en toute sécurité. Entrez par la porte du midi, car, de ce côté, vous ne trouverez personne devant vous pour vous molester[4]. »

Le jour même, le samedi après l’Ascension du Seigneur[5], cette porte fut occupée par le comte de Saint-Gilles et l’évêque du Puy[6]. Ce comte, venant d’un autre côté, protégé par la vertu divine et tout resplendissant dans son armure terrestre, à la tête de sa courageuse armée, se heurta aux Turcs, qui s’avançaient contre nous. Armé de tous côtés du signe de la croix[7], il les chargea vigoureusement et les vainquit, et ils prirent la fuite en abandonnant beaucoup de morts[8]. Mais de nouveaux Turcs vinrent au secours des premiers, pleins d’allégresse et tout joyeux d’une vic-

  1. Le denier, unité monétaire depuis l’époque carolingienne, était une pièce d’argent du poids de deux grammes et demi environ.
  2. 14 mai 1097.
  3. Anselme de Ribemont, loc. cit. : « Cum vero per aliquot dies civitatem multis machinis atque variis bellicis instnimentis adgressi fuimus… » D’après Anne Comnène (XI, 2, p. 104), ces machines de guerre avaient été fournies par l’empereur.
  4. La porte du midi était encore libre, parce qu’elle avait été réservée aux Provençaux. Ces renseignements sur les agissements des Turcs furent connus grâce à la capture d’un émissaire de Soliman par les croisés (Albert d’Aix, II, 25-26, p. 318)
  5. 16 mai 1097.
  6. L’évêque du Puy commandait l’une des deux divisions de l’armée du midi.
  7. Allusion à la croix portée par les croisés sur leur armure. Le mot undique (« de tous côtés ») semble indiquer que le comte portait plusieurs croix.
  8. Cf. Raimond d’Aguilers (3, p. 239) et Étienne de Blois (Epis- (tulae et chartae, p. 139). Anselme de Ribemont parle d’une ruse de guerre de la garnison, qui avait fait semblant de se rendre.