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Richard du Principat traversèrent secrètement le Bras[1] et, avec eux, presque toute la troupe de Bohémond. Bientôt l’armée du comte de Saint-Gilles atteignit Constantinople et le comte y demeura avec les siens[2]. Bohémond resta aussi auprès de l’empereur, afin de tenir conseil avec lui sur les moyens de ravitailler les troupes qui se trouvaient au delà de Nicée[3]. Le duc Godefroi vint d’abord à Nicomédie avec Tancrède[4] et tous les autres et ils y restèrent trois jours.

Le duc, s’apercevant qu’il n’existait aucune route par laquelle il pût conduire ces troupes jusqu’à Nicée, car la voie que les premiers croisés[5] avaient d’abord suivie se trouvait insuffisante pour un peuple aussi nombreux, envoya en avant-garde trois mille hommes armés de haches et d’épées qu’il chargea d’élaguer et d’élargir cette voie, afin qu’elle fût praticable à nos pèlerins jusqu’à Nicée. Ils ouvrirent un chemin à travers les défilés d’une montagne immense[6] et, sur leur passage, ils fabriquaient des croix de fer et de bois qu’ils plaçaient sur des socles, afin qu’elles servissent d’indication à nos pèlerins[7]. Nous parvînmes ainsi près de Nicée, qui est la capitale de toute la Romanie[8], le quatrième jour avant les nones de mai et nous y établîmes un camp[9].

Avant l’arrivée du seigneur Bohémond, il y eut une telle disette de pain parmi nous qu’un seul pain se vendait jus-

  1. Cf. Raoul de Caen, 12, p. 613.
  2. L’évêque du Puy, resté malade, arriva peu après (Raimond d’Aguilers, loc. cit.).
  3. D’après Anne Comnène (X, 11, p. 99), ce fut, au contraire, à Raimond de Saint-Gilles que l’empereur demanda des conseils.
  4. Confirmé par une lettre d’Anselme de Ribemont (Epistulae et chartae, p. 144).
  5. C’est-à-dire les troupes de la croisade populaire.
  6. Entre Nicomédie et Nicée se dresse l’Ouzoun Tchaïr Dagh, dont le sommet atteint 1 600 mètres.
  7. Ce détail ne se trouve que dans l’Anonyme et ses imitateurs.
  8. Sur le prestige de Nicée qui rappelait le premier concile œcuménique, voir Étienne de Blois (Epistulae et chartae, p. 140). Les ruines des remparts de Nicée, construits au ive siècle, existent encore avec leurs deux cent quarante tours. Cf. Schlumberger, Épopée byzantine, t. I (1896), p. 389-393.
  9. Le 6 mai 1097. Date confirmée par une lettre d’Anselme de Ribemont (Epistulae et chartae, p. 144). Ce passage montre que l’Anonyme avait passé le Bosphore avec Tancrède. Raimond d’Aguilers confirme d’ailleurs que Bohémond a passé le Bosphore avant le comte de Toulouse.