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à ne rien prendre en dehors de ce qui était nécessaire à leur nourriture[1].

Alors eut lieu le départ, et on alla au milieu d’une grande abondance de domaine en domaine, de cité en cité, de château en château. Nous parvînmes[2] ainsi à Castoria[3] et nous y célébrâmes solennellement la Nativité du Seigneur. Nous y restâmes plusieurs jours et nous cherchâmes à nous ravitailler, mais la population ne voulut pas y consentir, parce qu’elle nous redoutait beaucoup. Elle refusait de voir en nous des pèlerins et croyait que nous voulions dévaster sa terre et la massacrer[4]. Aussi nous nous emparions des bœufs, des chevaux, des ânes et de tout ce que nous trouvions. Ayant quitté Castoria, nous entrâmes en Pélagonie[5], où se trouvait une ville d’hérétiques. Nous l’attaquâmes de tous côtés et elle fut bientôt en notre pouvoir : ayant allumé du feu, nous brûlâmes la ville avec ses habitants[6].

Après quoi nous atteignîmes le fleuve Vardar[7]. Le seigneur Bohémond continua avec sa troupe, mais non tout entière, car le comte de Russignolo resta là avec ses frères. L’armée impériale survint et attaqua le comte ainsi que ses frères et tous ceux qui étaient avec eux.

  1. Témoignage intéressant qui indique chez Bohémond le désir de ménager l’empereur.
  2. Pour la première fois, l’auteur parle à la première personne. Il se trouvait donc dans l’armée de Bohémond.
  3. Castoria, située dans une presqu’île, à l’ouest du lac du même nom, était une forteresse importante prise par Robert Guiscard en 1082. Bohémond, qui avait pris part à cette expédition, connaissait admirablement la région et, après son échec devant Larissa, il s’était justement réfugié à Castoria, reprise par Alexis Comnène en 1083 (Anne Comnène, VII, 1, p. 185).
  4. Sur la terreur excitée en Macédoine par le passage des croisés, voir la lettre de Théophylacte, archevêque d’Ochrida (Migne, Patrologie grecque, t. CXXVI, col. 324-325).
  5. Nom antique d’une région de la Haute-Macédoine qui correspond à la plaine de Monastir et de Prilep.
  6. Il s’agit d’une colonie de Manichéens, peut-être de Bogomiles, très nombreux sur le territoire de l’ancienne Bulgarie. Sur l’importance de ce mouvement à cette époque, voir Chalandon, Alexis Comnène, p. 318-320, et Œconomos, La vie religieuse dans l’empire byzantin au temps des Comnènes (1918), p. 38-47. Au xie siècle, castrum a pris le sens de « ville forte » (voir Du Gange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, au mot : castrum).
  7. La Via Egnatia, que les croisés avaient dû rejoindre à Édesse (Vodena), traversait le Vardar à Topchin, à l’ouest de Thessalonique, mais, comme cette ville n’est pas mentionnée par l’Anonyme, il est possible que le passage du fleuve ait eu lieu plus au nord. Sur l’itinéraire de Bohémond, voir Th. Desdevises du Dezert, Géographie ancienne de la Macédoine (Paris, 1863), p. 214.