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Robert, comte de Flandre[1], Robert de Normandie[2], Hugue le Mainsné[3], Évrard du Puiset[4], Achard de Montmerle[5], Isoard de Mouzon[6] et beaucoup d’autres. Ils parvinrent ensuite soit au port de Brindisi, soit à Bari, soit à Otrante[7].

Hugue le Mainsné et Guillaume, fils du marquis[8], prirent la mer à Bari et abordèrent à Durazzo, mais le gouverneur du pays[9], apprenant le débarquement de ces deux prud’hommes, conçut dans son cœur un mauvais dessein. Il les fit arrêter et conduire avec précaution à Constantinople devant l’empereur, afin qu’ils lui jurassent fidélité[10].

Enfin, le duc Godefroi, le premier de tous les seigneurs, arriva à Constantinople avec une grande armée, deux jours avant la Nativité de Notre-Seigneur[11], et campa hors de la ville jusqu’à ce que l’inique empereur eût donné l’ordre de le loger dans un faubourg de la ville[12]. Ayant pris ainsi ses

  1. Robert II, fils de Robert le Frison, comte de Flandre depuis 1093.
  2. Robert Courte-Heuse, fils aîné de Guillaume le Conquérant, avait hérité du duché de Normandie en 1087.
  3. Hugue, comte de Vermandois, frère du roi de France Philippe Ier. Son surnom de magnus est une traduction infidèle de « mainsné » (moins né), c’est-à-dire le « cadet ».
  4. Évrard, seigneur du Puiset (canton de Janville, Eure).
  5. Achard de Montmerle (canton de Trévoux, Ain) avait engagé, pour pouvoir s’équiper, son patrimoine à l’abbaye de Cluny (Bruel, Chartes de Cluny, t. V, p. 51-53).
  6. Mouzon (Ardennes).
  7. Ce sont les principaux ports d’embarquement pour la péninsule des Balkans.
  8. Guillaume, frère de Tancrède, fils d’une sœur de Robert Guiscard, Emma, et d’Eude, dit « le bon Marquis ».
  9. Durazzo (ancienne Dyrrachium), principal port de transit avec l’Italie, point de départ de la Via Egnatia, qui conduisait à Thessalonique et à Constantinople, avait une triple enceinte fortifiée et une garnison formée de troupes d’élite, commandée par le duc ou stratège Jean Comnène, neveu de l’empereur Alexis (Chalandon, Alexis Comnène, p. 174).
  10. Récit très différent d’Anne Comnène (X, 7), qui exagère la vanité du prince, mais d’où il ressort qu’il fut traité honorablement par Jean Comnène. D’après les instructions d’Alexis, qui redoutait un coup de main sur Durazzo, déjà prise par les Normands en 1083, Hugue le Mainsné fut conduit à Constantinople par un haut fonctionnaire impérial. Il prêta serment de fidélité sans résistance. On remarquera que l’Anonyme, reflétant l’opinion de la plupart des croisés, ne perd pas une occasion de témoigner sa haine à Alexis, qui est pour lui « l’inique, le misérable empereur ».
  11. Godefroi s’était mis en route vers le 15 août 1096. Détails sur son itinéraire dans Albert d’Aix (II, 9, p. 299-305) et la Chronique de Zimmern (Archives de l’Orient latin, t. I, p. 21-22).
  12. Récit sommaire, mais confirmé dans ses grandes lignes par Albert d’Aix (II, p. 305-307), qui indique un premier cantonnement des croisés hors de l’enceinte, puis leur transport au delà de la Corne-d’Or dans de véritables casernes « intra palatia », probablement à Galata, désigné par l’expression des Gesta, empruntée à la terminologie occidentale « in burgo urbis ». Burgus désigne un faubourg et s’oppose à urbs, civitas. Le passage des croisés eut lieu le 29 décembre (Albert d’Aix, loc. cit.).