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Pierre, déjà mentionné, vint le premier à Constantinople, le trois des calendes d’août[1] et avec lui la plus grande partie des Allemands. Il y trouva réunis des « Longobards » et beaucoup d’autres[2]. L’empereur[3] avait ordonné de les ravitailler autant que la ville le pourrait et il leur dit : « Ne traversez pas le Bras[4] avant l’arrivée du gros de l’armée chrétienne, car vous n’êtes pas assez nombreux pour pouvoir combattre les Turcs. » Et les chrétiens se conduisaient bien mal, car ils détruisaient et incendiaient les palais de la ville, enlevaient le plomb dont les églises étaient couvertes et le vendaient aux Grecs, si bien que l’empereur irrité donna l’ordre de leur faire traverser le Bras[5].

Après qu’ils eurent passé, ils ne cessaient de commettre toute espèce de méfaits, brûlant et dévastant les maisons et les églises[6]. Enfin ils parvinrent à Nicomédie où les Longobards et les Allemands se séparèrent des Francs, parce que les Francs étaient gonflés d’orgueil[7]. Les Longobards élurent pour les commander un seigneur nommé Rainald.

  1. Le 30 juillet 1096.
  2. L’auteur se contredit. En fait, Gautier sans Avoir était arrivé à Constantinople avant Pierre l’Ermite (Albert d’Aix, I, 7, p. 275). « Les Longobards » sont les habitants de l’Italie méridionale (ancien thème byzantin de Longobardie). Par « Longobards », l’Anonyme désigne les Normands d’Italie. Anne Comnène, X, 5, p. 75, confirme que ce sont les « Longobards » qui parvinrent les premiers à Constantinople. La leçon : « Longobardi » (), est donc préférable à celle des autres manuscrits : « Lombardi et Langobardi » ; il ne peut s’agir d’une erreur de copiste puisqu’elle est répétée deux fois plus loin. On n’a d’ailleurs aucun renseignement sur ce départ précoce des Lombards pour la croisade : on voit, au contraire, que c’est seulement le 9 septembre 1096 qu’Urbain II, se trouvant à Pavie, écrit aux Bolonais pour exciter leur zèle ; or, les premiers croisés étaient arrivés à Constantinople avant la fin de juillet.
  3. Alexis Comnène, couronné empereur le 2 avril 1081.
  4. Le « Bras », dit le « Bras de saint Georges », désigne ici le Bosphore, bien que cette expression soit quelquefois réservée au golfe de Nicomédie, ville où saint Georges fut martyrisé (voir lettre d’Étienne de Blois, Epistulae et chartae, p. 139), ou même à la Corne-d’Or (même lettre et Albert d’Aix, II, 11, p. 306).
  5. L’Anonyme, suivi par ses remanieurs, est le seul à parier de ces méfaits. Anne Comnène, X, 6, p. 76, prétend à tort que la traversée du Bosphore eut lieu malgré l’empereur.
  6. Témoignage concordant d’Anne Comnène (loc. cit.).
  7. Sur l’origine de cette querelle, voir les détails d’Albert d’Aix, I, 16, p. 284. Anne Comnène signale aussi ces dissentiments, qui faillirent amener une bataille entre les croisés.