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que quiconque porterait trois pierres dans le fossé aurait un denier. Il fallut pour le combler trois jours et trois nuits[1]. Enfin, le fossé rempli, on amena le château contre la muraille. À l’intérieur, les défenseurs se battaient avec vigueur contre les nôtres en usant du feu[2] et des pierres. Le comte, apprenant que les Francs étaient dans la ville, dit à ses hommes : « Que tardez-vous ? Voici que tous les Français sont déjà dans la ville[3]. »

L’amiral qui commandait la Tour de David[4] se rendit au comte et lui ouvrit la porte à laquelle les pèlerins avaient coutume de payer tribut[5]. Entrés dans la ville, nos pèlerins poursuivaient et massacraient les Sarrasins jusqu’au temple de Salomon, où ils s’étaient rassemblés et où ils livrèrent aux nôtres le plus furieux combat pendant toute la journée, au point que le temple tout entier ruisselait de leur sang[6]. Enfin, après avoir enfoncé les païens, les nôtres saisirent dans le temple un grand nombre d’hommes et de femmes, et ils tuèrent ou laissèrent vivant qui bon leur semblait. Au-dessus du temple de Salomon[7] s’était réfugié un groupe nombreux de païens des deux sexes, auxquels Tancrède et Gaston de Béarn[8] avaient donné leurs bannières[9]. Les croisés coururent bientôt par toute la ville, raflant l’or, l’argent, les chevaux, les mulets et pillant les maisons, qui regorgeaient de richesses.

  1. C’est le 12 juillet que les Provençaux avaient commencé à combler le fossé.
  2. Du feu grégeois. Voir plus haut, p. 173, n. 2.
  3. Raimond d’Aguilers (20, p. 300) confirme que les croisés étaient déjà dans la ville quand les Sarrasins, situés en face des Provençaux, combattaient toujours.
  4. La Tour de David était située dans la partie ouest de l’enceinte. Albert d’Aix (VI, 28, p. 482-483) accuse le comte de s’être laissé corrompre par les Sarrasins.
  5. La porte de Jaffa, par laquelle les pèlerins entraient à Jérusalem après avoir payé le tribut exigé par les Turcs.
  6. Répétition du même détail que précédemment.
  7. Le toit de la mosquée d’Omar (ou mosquée El Aksa) a la forme d’une terrasse octogonale d’où émerge la coupole.
  8. Albert d’Aix (II, 23, p. 316) l’appelle Gaston de Bederz (Béziers), mais Tudebode (p. iio) donne son nom : Gaston de Béarn.
  9. Comme sauvegarde. Cf. p. 159 (capitulation de la citadelle d’Antioche).