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entourèrent de tous côtés et tuèrent Achard de Montmerle, ainsi que de pauvres piétons.

Les nôtres étaient déjà cernés et s’attendaient à la mort, lorsqu’un autre messager vint dire à Raimond Pilet : « Que fais-tu là avec ces chevaliers ? Voici que les nôtres sont aux prises avec des Arabes, des Turcs et des Sarrasins ; peut-être à cette heure sont-ils tous tués ; secourez-les, secourez-les donc ! » À cette nouvelle, les nôtres s’empressèrent d’accourir et parvinrent à la hâte jusqu’à eux, tout en combattant. Apercevant les chevaliers du Christ, la gent païenne se divisa et forma deux colonnes. Mais les nôtres, après avoir invoqué le nom du Christ, chargèrent sur ces incrédules avec un tel élan que chaque chevalier abattit son ennemi. Comprenant alors qu’ils ne pourraient tenir devant la valeur des Francs, frappés d’une grande terreur, ils tournèrent le dos ; les nôtres les poursuivirent pendant quatre milles environ, en tuèrent un grand nombre, en prirent un vivant, afin d’avoir par lui des renseignements, et s’emparèrent de cent trois chevaux[1].

Pendant ce siège, nous endurâmes le tourment de la soif à un point tel que nous cousions des peaux de bœufs et de buffles dans lesquelles nous apportions de l’eau pendant l’espace de six milles[2]. L’eau que nous fournissaient de pareils récipients était infecte et, autant que cette eau fétide, le pain d’orge était pour nous un sujet quotidien de gêne et d’affliction. Les Sarrasins, en effet, tendaient secrètement des pièges aux nôtres en infectant les fontaines et les sources ; ils tuaient et mettaient en pièces tous ceux qu’ils trouvaient et cachaient leurs bestiaux dans des cavernes et des grottes[3].

  1. Ce combat eut lieu le lendemain de l’arrivée du message de la flotte, le 18 juin. Voir Raimond d’Aguilers, 20, p. 294-295, et Albert d’Aix, VI, 4, p. 468.
  2. Foucher de Chartres (I, 27, p. 358) reproduit le même détail, mais en termes plus clairs : « Ils allaient chercher de l’eau au loin, à quatre ou cinq milles, et la rapportaient chaque jour dans leurs outres. »
  3. Cf. Raimond d’Aguilers, 20, p. 294 ; Albert d’Aix, VI, 6, p. 469-470. L’Anonyme omet le combat malheureux livré à la flotte égyptienne par les Génois qui durent abandonner leurs navires et partirent pour Jérusalem le 19 juin (Raimond d’Aguilers, 20, p. 295).