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sîmes le petit mur[1] et nous appliquâmes une échelle au mur principal ; nos chevaliers y montaient et frappaient de près les Sarrasins et les défenseurs de la ville à coups d’épées et de lances. Beaucoup des nôtres, mais encore plus des leurs, y rencontrèrent la mort. Pendant ce siège, nous ne pûmes trouver de pain à acheter pendant l’espace de dix jours, jusqu’à la venue d’un messager de nos navires[2], et nous fûmes en proie à une soif si ardente, qu’en éprouvant les plus grandes frayeurs, nous faisions jusqu’à six milles pour abreuver nos chevaux et nos autres bêtes[3]. La fontaine de Siloé, située au pied de la montagne de Sion, nous réconfortait[4], mais l’eau était vendue parmi nous beaucoup trop cher.

Après l’arrivée du messager de nos navires, nos seigneurs tinrent conseil et décidèrent d’envoyer des chevaliers pour garder fidèlement les hommes et les navires au port de Jaffa. Au point du jour, cent chevaliers se détachèrent de l’armée de Raimond, comte de Saint-Gilles, dont Raimond Pilet, Achard de Montmerle[5], Guillaume de Sabran[6], et allèrent en toute confiance vers le port. Puis trente de nos chevaliers se séparèrent des autres et rencontrèrent sept cents Arabes, Turcs, Sarrasins de l’armée de l’amiral[7]. Les chevaliers du Christ les attaquèrent avec vigueur, mais la supériorité des ennemis sur les nôtres fut telle qu’ils les

  1. Cet avant-mur protégeait l’enceinte septentrionale. Sur ce premier assaut, voir Raimond d’Aguilers, 20, p. 293.
  2. C’est le 17 juin qu’un messager apporte la nouvelle de l’arrivée de la flotte génoise à Jaffa (Raimond d’Aguilers, 20, p. 294 ; Cafaro, Liberatio civitatum Orientis, dans les Historiens occidentaux, t. V, p. 56-57).
  3. Cette traduction se justifie par l’interprétation que Baudri de Bourgueil (IV, 10, p. 98) donne de ce passage obscur : « Equos potum ducebant, non sine pavore nimio, per vi miliaria » (« Ils conduisaient leurs chevaux à l’abreuvoir, non sans une grande terreur, l’espace de six milles »). Cf. Guillaume de Tyr, VIII, 7, dans les Historiens occidentaux, t. I, p. 333-334.
  4. Sur la fontaine de Siloé, voir le P. Hugue Vincent, Jérusalem antique, p. 63. Sur la cherté de l’eau, témoignages concordants de Raimond d’Aguilers (20, p. 294) et de la lettre de Daimbert (Epistulae et chartae, p. 170).
  5. Mentionné déjà p. 15.
  6. Guillaume, seigneur de Sabran (Gard).
  7. L’émir de Babylone (Le Caire) qui prépare une expédition, contre les croisés et a envoyé des troupes en reconnaissance.