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Fleury[1] et dans les poèmes consacrés à la croisade, en latin, par le clerc parisien Gilon[2], en français, sous le titre de Chanson d’Antioche, par le trouvère artésien Richard le Pèlerin[3].

On peut dire qu’à ces époques, où la notion de la propriété littéraire était inconnue, le succès d’un livre se mesurait au nombre des plagiats qu’il inspirait. Or, au lendemain de la croisade, une raison surtout contribua au succès de l’Anonyme : malgré son impartialité pour les autres chefs, il a mis Bohémond au premier plan. Jusqu’à la marche sur Jérusalem, c’est Bohémond qui apparaît dans son récit comme le véritable chef de la croisade, qui fait décider toutes les mesures importantes et qui, en mainte circonstance, relève le courage de l’armée chrétienne ou la sauve des désastres dont elle est menacée. Et justement, au moment même où le texte de l’Anonyme se répand en France, entre 1104 et 1106, Bohémond est un des hommes les plus populaires de la chrétienté : délivré de la captivité lointaine qu’il a subie chez les Turcs, il est venu en Occident pour prêcher la croisade contre l’empereur Alexis, dont il dénonce la mauvaise foi[4] ; accompagné d’un légat du pape, il paraît en Normandie, où il a une entrevue avec le roi d’Angleterre ; à Paris, où il épouse la fille du roi de France Philippe Ier ; au concile de Poitiers, où il reçoit un accueil triomphal (1106). Entre ce voyage de propagande contre l’empire byzantin et la vogue des Gesta, il est difficile de ne pas établir une relation. Un livre où Bohémond était

  1. Recueil des historiens des croisades (Historiens occidentaux, t. V, p. 363-368).
  2. Ibid., t. V, p. 691-800.
  3. Édition Paulin Paris (2 vol., 1848) et cf. Histoire littéraire de la France, t. XXII, p. 353, et t. XXV, p. 519.
  4. Cf. Chalandon, Essai sur le règne d’Alexis Comnène (Paris, 1900), p. 236-243.