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et quatre jours[1], et ce fut alors que mourut l’évêque d’Orange[2]. Il y en eut parmi les nôtres qui ne trouvèrent pas là ce dont ils avaient besoin, tant par suite de la longueur de cet arrêt que par la difficulté de se nourrir, car, hors de la ville, ils ne pouvaient rien trouver à saisir. Alors ils sciaient les cadavres, parce qu’on découvrait des besants[3] cachés dans leur ventre ; d’autres découpaient leurs chairs en morceaux et les faisaient cuire pour les manger[4].

[34.] Bohémond ne put s’accorder avec le comte de Saint-Gilles sur ce qu’il demandait[5] ; irrité, il retourna à Antioche. Sans retard, le comte Raimond manda à Antioche par des envoyés au duc Godefroi, au comte de Flandre, à Robert de Normandie et à Bohémond de venir jusqu’à Rugia[6] pour y conférer avec lui. Tous les seigneurs y vinrent et tinrent conseil, afin de trouver un moyen de se maintenir honorablement sur la route du Saint-Sépulcre pour laquelle ils s’étaient croisés et étaient parvenus jusque-là. Ils ne purent accorder Bohémond avec Raimond que si le comte Raimond lui remettait Antioche[7]. Le comte refusa d’y consentir à cause de la foi qu’il avait jurée à l’empereur. À la fin, les comtes et le duc revinrent à Antioche avec Bohémond, et le comte Raimond retourna à Marra où se trouvaient les pèlerins et manda à ses chevaliers de mettre en état le palais et le château qui se trouvait au-dessus de la porte du pont[8].

  1. Du 11 décembre 1098 au 15 janvier 1099.
  2. Guillaume, évêque d’Orange, se trouvait dans l’armée des Provençaux (Raimond d’Aguilers, 20, p. 301).
  3. Sur les besants, voir p. 96, n. 5. À l’entrée des Francs dans la ville, des Sarrasins avaient avalé leurs pièces d’or pour mieux les dissimuler.
  4. Détails confirmés par Raimond d’Aguilers, 14, p. 271 ; Foucher de Chartres, p. 352 ; Raoul de Caen, 97, p. 675 ; Albert d’Aix, V, 30, p. 461, et une lettre de Daimbert, archevêque de Pise (Epistulae et chartae, p. 170).
  5. Les détails du conflit sont donnés par Raimond d’Aguilers, 14, p. 270. Bohémond proposait de différer le départ de Marra jusqu’à Pâques. Les croisés supplièrent alors Raimond de les conduire à Jérusalem : après quelques hésitations, le comte fixa le départ à quinze jours. Bohémond, indigné, se retira à Antioche.
  6. Aujourd’hui Riha ; la réunion eut lieu au début de janvier 1099.
  7. Bohémond exige que Raimond lui livre les parties d’Antioche que ses troupes occupent toujours.
  8. Il s’agit des postes occupés toujours à Antioche par les troupes de Raimond, le palais de Iagi-Sian et le château de la Mahomerie, desquels Bohémond ne tarda pas à les expulser. L’Anonyme omet ici l’épisode si dramatique de la destruction des murs de Marra par le bas peuple, indigné des discordes des chefs (Raimond d’Aguilers, 14, p. 271).