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voyant, la gent païenne fit aussitôt une machine qui jetait de grosses pierres sur le château[1], si bien que presque tous nos chevaliers furent tués. Ils jetaient aussi du feu grégeois[2] sur le château dans l’espoir de l’incendier et de le détruire, mais Dieu tout-puissant ne voulut pas que le château brûlât cette fois, car il surpassait en hauteur les murs de la cité.

Nos chevaliers placés à l’étage supérieur, parmi lesquels Guillaume de Montpellier[3] et beaucoup d’autres, lançaient d’énormes pierres sur les défenseurs de la muraille. Ils tapaient si raide sur leurs boucliers que le bouclier et l’homme tombaient, celui-ci mortellement frappé, à l’intérieur de la ville. Ainsi combattaient ceux-ci ; d’autres tenaient des lances garnies de pennons[4] et, à l’aide de leurs lances et d’hameçons de fer, ils cherchaient à attirer à eux les ennemis. On combattit ainsi jusqu’au soir.

Derrière le château étaient les prêtres, les clercs revêtus de leurs ornements sacrés, qui priaient et adjuraient Dieu de défendre son peuple, d’exalter la chrétienté et d’abattre le paganisme. D’un autre côté, nos chevaliers combattaient chaque jour l’ennemi, dressant des échelles contre le mur de la ville ; mais la résistance des païens était telle que les nôtres ne pouvaient faire aucun progrès. Cependant, Goufier de Lastours[5] monta le premier sur le mur par une échelle, mais aussitôt l’échelle se rompit sous le poids de ses trop nombreux compagnons. Il parvint cependant sur le mur avec quelques-uns. D’autres ayant trouvé une

  1. Une baliste destinée à lancer des pierres. Sur ces machines, voir Viollet-le-Duc, Dictionnaire d’architecture, t. V, p. 221.
  2. Les Arabes et les Turcs avaient fini par trouver le secret du feu grégeois, resté longtemps le monopole de l’empire byzantin. C’était un liquide enflammé, probablement à base d’huile de naphte, qu’on lançait au moyen de tubes ou « siphons ».
  3. Il a été déjà cité au ch. XI, p. 63.
  4. Mot à mot : « garnis de signes honorables ». Il s’agit des pennons et des gonfanons que les chevaliers fixaient à leur lance.
  5. « Goufier de Lastours, vicomte, originaire du Limousin » suivant le De praedicatione crucis in Aquitania (Historiens occidentaux, t. V, p. 351). Voir dans ce morceau l’exploit fantastique qui lui est attribué et l’histoire de son lion apprivoisé. Il était seigneur de Lastours, près de Nexon (Haute-Vienne), et frère de Grégoire Bechada, auteur d’une première Chanson d’Antioche, que la plupart des critiques considèrent aujourd’hui comme entièrement perdue, malgré l’avis de Gaston Paris (Mélanges de littérature française du moyen âge, p. 221), qui croyait en reconnaître un fragment important dans un manuscrit de Madrid publié par Paul Meyer dans les Archives de l’Orient latin, t. II, p. 473-494. Sur Goufier, cf. Arbellot, Les chevaliers limousins aux croisades, 1881, p. 70.