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Les autres, demeurés à Antioche[1], s’y trouvaient dans la joie et dans une grande allégresse, lorsque leur directeur et pasteur[2], l’évêque du Puy, tomba par la volonté de Dieu gravement malade et, par cette même volonté, émigra de ce siècle et, reposant en paix, s’endormit dans le Seigneur le jour de la fête dite de saint Pierre ès liens[3]. Il en résulta une grande angoisse, une tristesse, une immense douleur dans toute l’armée du Christ, car il était le soutien des pauvres et le conseiller des riches. Il ordonnait des clercs, prêchait et, dans ses allocutions adressées aux chevaliers, il leur disait : « Nul de vous ne peut être sauvé s’il n’honore et ne réconforte les pauvres ; sans eux vous ne pouvez être sauvés, sans vous ils ne peuvent vivre. Il faut donc que, par une supplication quotidienne, ils prient pour vos péchés Dieu que vous offensez si souvent, je vous supplie donc de les aimer pour l’amour de Dieu et de les secourir autant que vous le pourrez. »

[31.] Peu de temps après[4] partit le vénérable Raimond, comte de Saint-Gilles. Il pénétra dans la terre des Sarrasins et parvint jusqu’à une ville appelée Albara[5]. Il l’attaqua avec sa troupe, s’en empara aussitôt et massacra tous les Sarrasins et Sarrasines, grands et petits, qu’il y trouva. Après en avoir pris possession[6], il la rappela à la foi du

  1. Ces termes indiquent certainement que l’auteur a pris part à l’expédition de Raimond Pilet.
  2. C’est la seule allusion aux pouvoirs spirituels d’Adémar de Monteil en tant que légat du pape. Voir aussi les détails d’Albert d’Aix, V, 1, p. 433, sur la « réconciliation » de l’église Saint-Pierre par l’évêque du Puy.
  3. Le 1er août 1098. Ces détails sur l’impression produite par cette mort sont confirmés par les autres textes (lettre des princes à Urbain II, dans les Epistulae et chartae, p. 164 ; Raimond d’Aguilers, 13, p. 262 ; Foucher de Chartres, I, 23, p. 350 ; Albert d’Aix, V, 4, p. 435 ; Chronique de Saint-Pierre du Puy, p. 164).
  4. Entre la mort d’Adémar de Monteil et cette expédition contre Albara eut lieu une autre expédition infructueuse du comte de Toulouse contre Hazar (Raimond d’Aguilers, 13, p. 263). L’expression « peu de temps après » est donc inexacte. L’expédition contre Albara eut lieu au moins après le 11 septembre, date de la lettre expédiée à Urbain II par les princes.
  5. El-bâra, à l’est de l’Oronte, à deux jours de marche d’Antioche.
  6. D’après les idées du temps, la nomination d’un évêque est un signe de souveraineté.