n’est pas prise et les nôtres sont assiégés étroitement et probablement tous exterminés par les Turcs. Reviens donc aussi vite que tu pourras, afin de ne pas tomber entre leurs mains, toi et l’armée que tu conduis[1]. »
Alors, l’empereur, frappé de terreur, fit venir en secret Gui, frère de Bohémond[2], et quelques autres[3]. « Seigneurs, leur dit-il, qu’allons-nous faire ? Voici que tous les nôtres sont arrêtés et assiégés étroitement et peut-être, à cette heure, ont tous été frappés mortellement de la main des Turcs ou conduits en captivité, comme ce misérable comte, qui a fui honteusement, le raconte. Si vous voulez, battons rapidement en retraite, afin de ne pas être atteints, comme ils l’ont été, d’une mort subite. »
En entendant ces mensonges, Gui, ce vaillant chevalier, se mit à pleurer avec tous les autres et à pousser de longs gémissements, et tous s’écriaient : « Ô vrai Dieu triple et un, pourquoi as-tu permis que ces choses s’accomplissent ? Pourquoi as-tu permis que le peuple qui te suivait tombât aux mains de ses ennemis, pourquoi as-tu abandonné si vite ceux qui voulaient rendre libre la route de ton sépulcre ? Certes, si la parole que nous avons entendue de la bouche de ces misérables est vraie, nous et tous les autres chrétiens
- ↑ L’addition qui figure ici dans C peut se traduire ainsi : « Guillaume d’Arques, naguère moine admirable, alors chevalier très vaillant, que nous avons signalé plus haut comme s’étant sauvé la nuit avec les autres du haut du mur et qui s’était joint au comte Étienne dans sa fuite, affirma sous serment à l’empereur que, s’il poussait jusqu’à Antioche, vers laquelle il se hâtait, il perdrait certainement sa tête. Il affirmait que Bohémond l’avait attesté par serment. » Cette interpolation remonte vraisemblablement à l’époque des hostilités entre Bohémond et l’empire (1105-1111).
- ↑ Gui était fils de Robert Guiscard et de sa deuxième femme, Sykelgaite, tandis que Bohémond était né d’Alberada. Gui avait trahi son père pendant l’expédition de 1084 et s’était laissé acheter par Alexis (Chalandon, Histoire de la domination normande en Italie, t. 1, p. 282-283).
- ↑ D’après Anne Comnène (XI, 6, p. 119), deux fugitifs d’Antioche, Guillaume de Grandmesnil et Pierre d’Aulps, s’efforçaient aussi de détourner l’empereur de sa route.