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l’invasion des Turcs, pendant tout un jour, avec une telle vaillance que le même jour il abattit deux Turcs aux abords du mur[1], après avoir rompu des lances : car trois lances, ce jour-là, furent brisées entre ses mains, et ceux-ci subirent la sentence mortelle. Son nom était Hugue le Forcené, de la bande de Geoffroi de Monte-Scabioso[2].

Puis l’honorable Bohémond, voyant qu’il lui était impossible de trouver des hommes pour combattre devant la citadelle — car, enfermés dans leurs maisons, ils tremblaient, les uns à cause de la famine, les autres par crainte des Turcs — entra dans une grande colère et donna l’ordre de mettre le feu à la ville, du côté où se trouvait le palais de Cassian[3]. À cette vue, ceux qui étaient dans la ville abandonnèrent leurs maisons et tous leurs biens et s’enfuirent, les uns vers le château[4], les autres à la porte du comte de Saint-Gilles[5], d’autres à celle du duc Godefroi[6], chacun vers la bande à laquelle il appartenait. À ce moment s’éleva une grande tempête de vent, au point que personne ne pouvait se tenir droit. Bohémond le Sage en fut très affligé, craignant pour l’église Saint-Pierre, pour celle de Sainte-Marie et pour les autres églises. Cette fureur dura de la troisième heure au milieu de la nuit : deux mille églises et habitations furent incendiées[7]. Puis, vers minuit, toute la violence du feu tomba.

Les Turcs, enfermés dans la citadelle, à l’intérieur de la ville, ne cessaient de nous combattre jour et nuit et nous n’étions séparés d’eux que par nos armes. Les nôtres, voyant qu’ils ne pouvaient endurer plus longtemps ces souffrances

  1. Le mur de la tour dont Hugue défendait l’accès.
  2. Geoffroi de Monte-Scabioso avait été tué à la bataille de Dorylée. Voir p. 50, n. 2.
  3. Le palais de Iagi-Sian (voir p. 109, n. 4). Raoul de Caen (76, p. 660-661) attribue cet incendie à l’initiative du comte de Flandre.
  4. C’est ainsi qu’il faut traduire in castellum. Le texte de Tudebode (p. 72) : « Dans la montagne située devant le château », l’interprète ainsi.
  5. La porte située en face du pont et du château de la Mahomerie, qui, avant la prise de la ville, avait été gardée par Raimond de Saint-Gilles et qu’il occupait toujours.
  6. Elle était située immédiatement à l’est de la porte de Raimond.
  7. Ce chiffre ne peut être admis que dans le sens de « beaucoup de maisons ».