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pèlerins, et lui dirent : « Voici les armes que les Francs ont apportées pour nous combattre. » Courbaram, souriant, dit en présence de tous : « Telles sont les armes belliqueuses et brillantes que les chrétiens ont apportées pour nous surmonter en Asie et avec lesquelles ils pensent avec confiance nous chasser au delà du Khorassan et détruire notre nom jusque par delà les fleuves des Amazones[1], eux qui ont expulsé nos parents de la Romanie et d’Antioche, cette ville royale, capitale magnifique de toute la Syrie[2]. »

Aussitôt il convoqua son notaire et lui dit : « Écris tout de suite plusieurs chartes qui seront lues en Khorassan, à savoir : À notre calife apostolique[3] et à notre seigneur-roi le soudan, chevalier très courageux, et à tous les sages chevaliers du Khorassan, salut et grand honneur ! Puissent-ils être gais et, dans une joyeuse concorde, donner satisfaction à leur ventre, commander et pérorer dans toute la région, s’adonner à leur fougue et à leur luxure et engendrer beaucoup de fils capables de combattre vaillamment contre les chrétiens. Qu’ils veuillent bien accepter ces trois armes que nous avons enlevées à une troupe de Francs et qu’ils apprennent quel genre d’armes le peuple franc a apportées pour nous vaincre. Que tous sachent encore que je tiens les Francs enfermés dans Antioche, que j’occupe la citadelle à ma volonté, tandis qu’ils se trouvent en bas dans la ville. Ils sont déjà tous en mon pouvoir et ils seront ou condam-

  1. L’emploi de cette allusion à un souvenir classique montre le caractère fabuleux du discours de Courbaram (ou Kerbôga). On plaçait le séjour des Amazones sur les bords du Thermodon et de l’Iris (Iechil Irmak), fleuves du Pont. Cette légende était populaire en Occident, comme le montre le curieux chapitre sur les Amazones et leurs rapports avec les Goths, inséré (d’après Jordanis et Orose) par Ekkehard d’Aura (mort en 1125) dans sa Chronique universelle (Migne, Patrologie latine, t. CLIV, col. 730-736).
  2. Ces réflexions inutiles forment contraste avec la sobriété habituelle des discours qui se trouvent dans notre texte. Sur le caractère artificiel de ces passages, voir l’Introduction, p. VI-VII.
  3. Ce protocole imité des chartes latines et l’expression d’ « apostolique » appliquée au calife achèvent de démontrer le caractère fabuleux et imaginaire du morceau.