Page:Histoire anonyme de la première croisade, trad. Bréhier, 1924.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À ce moment, une immense clameur résonnait dans toute la ville. Bohémond ne perdit pas de temps, mais il ordonna que sa glorieuse bannière fût arborée sur une éminence en face du château[1]. Au point du jour, ceux qui étaient encore dans leurs tentes entendirent la rumeur immense qui retentissait dans la ville. Étant sortis à la hâte, ils virent flotter la bannière de Bohémond sur une hauteur ; aussitôt entraînés par une course rapide, ils pénétrèrent dans la ville à travers les portes et massacrèrent les Turcs et les Sarrasins qu’ils rencontrèrent, à l’exception de ceux qui parvinrent à fuir dans la citadelle du haut[2] : d’autres Turcs sortirent par les portes et durent leur salut à la fuite[3].

Cassian[4], leur seigneur, se mit aussi à fuir avec beaucoup d’autres qui étaient à sa suite et, en fuyant, il parvint dans la terre de Tancrède[5], non loin de la cité. Comme leurs chevaux étaient fatigués, ils pénétrèrent dans un casal[6] et se réfugièrent dans une maison. Mais ils furent reconnus par les habitants, des Syriens et des Arméniens, qui saisirent aussitôt Cassian et lui coupèrent la tête, qu’ils portèrent à Bohémond, afin d’obtenir leur liberté[7]. Le ceinturon et le fourreau de son cimeterre furent vendus soixante besants[8].

  1. Il s’agit de la citadelle d’Antioche, située au point le plus élevé de l’enceinte, sur les pentes du mont Cassius. Les croisés ne purent s’en emparer.
  2. L’Anonyme omet les tentatives que fit Bohémond pour s’emparer de cette citadelle et au cours desquelles il fut blessé (Foucher de Chartres, I, 17, p. 343, et Raimond d’Aguilers, 9, p. 252).
  3. Ce récit de la prise d’Antioche concorde avec les détails don- nés dans la lettre des princes à Urbain II (Epistulae et chartae, p. 162) et dans la chronique de Raimond d’Aguilers (9, p. 251-252).
  4. Cassian, transcription de Iagi-Sian, Jaghi-Seian, Yâgi-Sian (Aboulfeda, dans le Recueil des historiens des croisades ; historiens orientaux, t. I, p. 3 et 863). Émir d’Antioche et beau-père de Roudwân, prince d’Alep (voir H. Derenbourg, Ousâma-ibn-Mounkidh. Un émir syrien au premier siècle des croisades, 1889, p. 229).
  5. La « terre de Tancrède » désigne certainement la région située à l’ouest de l’enceinte gardée par Tancrède et non les villes acquises par Tancrède en Cilicie.
  6. Le « casal » est un village habité par des tenanciers et entouré de terres. Après la conquête franque, le casal devint une subdivision du fief (voir Rey, Colonies franques de Syrie, p. 241).
  7. Sur la mort de Iagi-Sian, mêmes témoignages d’Anselme de Ribemont, de la lettre des princes à Urbain II et de Raimond d’Aguilers (voir p. 109, n. 3).
  8. Sur la valeur des besants, voir p. 95, n. 3.