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édifice. Ils ordonnèrent d’exhumer les cadavres, de briser les tombes et de les tramer hors des sépulcres. Tous les cadavres furent jetés dans une fosse et les têtes coupées furent apportées au camp, afin qu’on pût en savoir le nombre, sauf qu’ils avaient chargé de têtes quatre chevaux des ambassadeurs de l’amiral de Babylone et les avaient envoyés vers la mer[1]. À cette vue, les Turcs furent saisis de douleur et d’une tristesse mortelle. Chaque jour ils se lamentaient et ne faisaient pas autre chose que de pleurer et pousser des cris.

Le troisième jour[2], nous nous réunîmes tout joyeux pour construire le château dont il a été question avec les pierres que nous enlevions aux tombes des Turcs[3]. Une fois le château terminé, nous commençâmes à resserrer de tous les côtés nos ennemis, dont l’orgueil était déjà réduit à néant. Quant à nous, nous allions en toute sécurité n’importe où, au port ou dans les montagnes, louant et glorifiant notre Dieu, à qui reviennent gloire et honneur dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il !


[HUITIÈME RÉCIT]
[Fin du siège et prise d’Antioche (8 mars-3 juin 1098)]

[19.] Déjà toutes les issues étaient à peu près interdites aux Turcs et coupées, sauf dans la partie du fleuve où se trouvaient un château et un monastère[4]. Et si nous garnis-

  1. Sur cette ambassade égyptienne, voir chap. xvii, p. 87. Cf. le récit de Raimond d’Aguilers, 8, p. 249.
  2. Le 8 mars, date confirmée par la lettre du clergé et du peuple de Lucques (Epistulae et chartae, p. 166) : « Tertia autem die erecto castello. »
  3. Sur cette construction improvisée, voir la deuxième lettre d’Anselme de Ribemont (Epistulae et chartae, p. 158-159). L’Anonyme ne dit rien des incidents à la suite desquels le comte de Toulouse prit le commandement du château (Raimond d’Aguilers, 8, p. 249-250).
  4. Ce château se trouvait auprès du monastère de Saint-Georges, sur la rive gauche de l’Oronte, sur les pentes occidentales du mont Cassius. C’est ce secteur que l’Anonyme a appelé au chapitre XIV (p. 75) : « La montagne de Tancrède. »