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des faits se sont ajoutés des renseignements de seconde main et de valeur inégale. Tout le premier chapitre, consacré aux origines de la croisade, est composé d’après des données sommaires et incomplètes. Le voyage du pape Urbain II en France est indiqué, mais le concile de Clermont n’est même pas mentionné. Le récit de la croisade populaire (chap. II), celui de l’arrivée de Godefroy de Bouillon à Constantinople (chap. III) sont remplis de faits précis et ont dû être composés d’après des témoins oculaires, mais sont incomplets si on les confronte avec les renseignements dont disposent Albert d’Aix et même Anne Comnène. De même, c’est indirectement que l’Anonyme a connu les négociations des chefs avec l’empereur (chap. VI). Le premier chapitre, rempli de citations bibliques et qui a les allures d’un sermon, laisse supposer dans la rédaction l’intervention d’un clerc.

3o Le récit des événements est interrompu à plusieurs reprises par des chapitres qui forment de véritables hors-d’œuvre, mettent en scène les émirs turcs, rapportent longuement leurs discours et dont le caractère romanesque et fabuleux, le style diffus, l’aspect d’amplification oratoire forment un contraste étrange avec la narration si précise, si pleine de faits de l’Anonyme. Citons le discours de Soliman aux Arabes après la bataille de Dorylée (chap. X) ; les détails sur les négociations entre les émirs turcs et Kerbôga pour secourir Antioche, ainsi que la lettre de Kerbôga au calife (chap. XXI) ; le dialogue de la mère de Kerbôga avec son fils, à qui elle prédit sa défaite, s’il attaque les chrétiens (chap. XXII) ; les lamentations de l’émir égyptien après la bataille d’Ascalon, d’une allure romantique qui fait songer à « la Bataille perdue » des Orientales (chap. XXXIX). Les Turcs, que ces passages nous décrivent, sont entièrement conventionnels et légendaires : ils adorent les idoles,