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Bohémond, de son côté, ne suivit pas le même chemin qu’eux, mais revint rapidement avec quelques chevaliers auprès de nous, qui étions groupés en un seul corps[1]. Enflammés par le massacre des nôtres, après avoir invoqué le nom du Christ et confiants dans l’espoir d’atteindre le Saint-Sépulcre, nous étant groupés ensemble, nous parvînmes à engager le combat avec eux et nous les attaquâmes d’un seul cœur et d’une seule âme. Les ennemis de Dieu et les nôtres se montrèrent stupéfaits et atterrés. Ils croyaient nous vaincre et nous exterminer comme ils l’avaient fait de la troupe du comte et de Bohémond, mais Dieu tout-puissant ne le leur permit pas. Les chevaliers du vrai Dieu, armés du signe de la croix, s’élancèrent sur eux avec violence et les attaquèrent vaillamment. Eux s’enfuirent rapidement par le pont étroit jusqu’à l’entrée de la ville ; ceux qui ne purent traverser le pont vivants, par suite de la cohue que formaient les hommes et les chevaux[2], reçurent là une mort éternelle avec le diable et ses anges[3].

Et nous, ayant pris le dessus, nous les poussions et les précipitions dans le fleuve. Les flots rapides du fleuve étaient rougis du sang des Turcs et, si l’un d’eux cherchait à grimper sur les piles du pont ou s’efforçait de gagner la terre à la nage, il était blessé par les nôtres qui couvraient la rive du fleuve. La rumeur et les cris des nôtres et des ennemis résonnaient jusqu’au ciel. Des pluies de traits et de flèches couvraient le pôle et la clarté du jour ; les femmes

  1. Renseignement particulier à l’Anonyme, qui était resté au camp. Étienne de Blois (lettre citée) dit seulement que les croisés restés au camp se préparaient à aller au-devant de l’expédition de Port-Saint-Siméon, quand les Turcs firent une sortie par la porte du pont et attaquèrent les chrétiens. Ce fut à ce moment que Bohémond et Raimond de Saint-Gilles revinrent avec leur troupe. Les deux récits se concilient, mais celui d’Étienne de Blois est plus complet.
  2. Cf. le récit analogue d’Étienne de Blois (loc. cit.) : « Nam cum transire per pontem super flumen magnum Moscholo fundatum vellent, nos eos comminus insequentes, multos ex ipsis, antequam accederent ad pontem, interfecimus, multos in flumen projecimus ».
  3. Math., 25, 41.