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LES HOMOSEXUELS

souvent possible, tout en prenant mes précautions, afin qu’il ne s’en aperçût pas.

Je m’efforçais surtout de ne laisser soupçonner par qui que ce soit mes sentiments à son égard, sentiments que l’autre ne partageait, du reste, nullement. Je ne savais pas alors et actuellement encore je ne peux pas m’expliquer pourquoi j’avais caché ce sentiment à tout le monde et même à l’objet de mon amour. J’avais probablement la juste intuition de ne pouvoir être compris et, à part cela, je sentais que l’état de mon âme était plutôt nébuleux : il m’eût été, en effet, impossible de percevoir nettement et d’exprimer par des paroles ce que j’éprouvais et pensais. Pourtant je rêvais au bonheur d’être lié avec lui par une amitié solide, de pouvoir rester constamment ensemble, de faire nos devoirs en commun et de n’être jamais contraints de nous séparer. Le soir, étendu sur mon lit, j’imaginais toutes sortes d’accidents qui auraient dû se produire pour rendre notre liaison bien solide : que sa maison brûlât, par exemple, il serait donc sans domicile et je l’inviterais à rester avec moi ; nous partagerions le même lit et je me voyais le pressant sur ma poitrine pour lui témoigner combien je l’aimais.

Ce qu’il convient surtout de remarquer ; c’est que pareilles pensées lorsqu’elles me venaient, m’emplissaient d’un bonheur suprême, et je ne possédais néanmoins aucune espèce d’idée sur les rapprochements sexuels. Mon esprit était absolument pur et nullement perverti par les histoires dégoûtantes et sales qui arrivent trop tôt aux oreilles des enfants confinés dans les villes ; ces choses-là n’agitaient point mon imagination. Pourtant, ces images immorales et luxurieuses n’au-