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LES HOMOSEXUELS


J’ai grandi à Berlin, dans cette « Babylone perdue » j’ai suivi avec beaucoup de camarades de mon âge une école publique, j’ai été aussi dans une pension, où certes les mœurs n’étaient pas très sévères et j’ai néanmoins, sous le rapport sexuel, conservé remarquablement longtemps l’innocence d’un enfant. Jamais je n’ai comme d’autres garçons, trouvé du plaisir à bavarder et à me creuser la tête pour savoir « d’où viennent les enfants ». J’avais même une honte tout à fait remarquable, dont les causes restent encore mystérieuses pour moi, à entendre parler de ces choses. Aussi, à quinze ans, je passais aux yeux de mes camarades, et à juste titre, pour « innocent ». Ce n’est pas précisément que je crusse encore, précisément, à la cigogne, mais je n’avais aucun soupçon de ce qui caractérise la différence des sexes et de rapports sexuels quelconques. Naturellement, je ne comprenais rien non plus aux plaisanteries classiques qui se faisaient sur ce thème, ce qui contribua à étendre ma réputation d’« innocence ».

J’avais, à cette époque dix-sept ans, et j’ai ressenti un sentiment étrange à l’égard d’un de mes compagnons d’étude qui était le premier de la classe ; je n’étais pas lié avec lui autant que je l’étais avec certains autres camarades et pourtant, j’éprouvais une joie toute particulière lorsque je pouvais lui parler, déambuler dans sa société sous le préau et surtout me trouver assis en classe à ses côtés. Cette occasion, à mon grand désespoir, ne se présentait que rarement ; presque toujours j’étais le troisième en composition et un autre que moi occupait la place que j’enviais. Je fus donc obligé de me contenter de le regarder, ce que je faisais le plus