Page:Hippocrate - Oeuvres choisies, trad Daremberg, 1844.djvu/382

Cette page n’a pas encore été corrigée


APHORISME

PREMIÈRE SECTION

La vie est courte, l'art est long, l'occasion est prompte [à s'échapper], l'empirisme est dangereux, le raisonnement est difficile. Il faut non seulement faire soi-même ce qui convient; mais encore [être secondé par] le malade, par ceux qui l'assistent et par les choses extérieures [1].

Dans les perturbations du ventre et dans les vomissements qui arrivent spontanément, si les matières qui doivent être purgées sont purgées, c'est avantageux et les malades le supportent facilement; sinon, c'est le contraire. De même pour une déplétion vasculaire [artificielle], si elle est telle qu'elle doit être, elle est avantageuse et les malades la supportent facilement; sinon; c'est le contraire. Il faut donc considérer le pays, la saison, l'âge et les maladies dans

  1. Aph. 1. - 1. L'empirisme est dangereux, etc. En adoptant cette interprétation, j'ai suivi les commentateurs anciens: Galien (Com. in Aph., t. XVII, p. 347 ; Com. I in lib. de Hum., t. 6 et 7, p. 79 et 80, t. XVI), Théophile (éd. de Dietz, t. II, p. 247), et Étienne (p. 249). Il me semble, du reste, que, dans la collection. πεῖρα et ses dérivés sont toujours pris dans le sens d'essai, d'expérimentation, et ne rappellent pas l'idée toute métaphysique que nous rattachons au mot expérience (cf. de Humoribus, initio, et Foës au mot πειρᾶσθαι dans son Économ.) Πεῖρα signifie donc expérimentation ou plutôt empirisme, expression plus générale et qui correspond mieux au mot raisonnement, par lequel Galien interprète κρίσις. D'ailleurs cette appréciation laconique des deux grands systèmes qui partagent la médecine, ou plutôt des deux voies qui conduisent à cette science, me semble très en rapport avec les idées d'Hippocrate, et très satisfaisante pour l'esprit. Si on adopte le mot expérience, il faut conserver à σφαλερή le sens de dangereux qu'il a toujours dans la collection hippocratique, donner à κρίσις sa signification propre, qui est discernement, et comprendre que l'expérience est dangereuse si l'on ne sait pas s'en servir, et que le κρίσις, qui sert précisément à discerner les cas et à permettre l'application de l'expérience, est difficile. - « Presque tous les commentateurs s'accordent à penser que ce discours, qu'il constitue ou non deux aphorismes, est le commencement de tout le livre. Il s'agit de savoir maintenant ce qu'Hippocrate a prétendu en entrant ainsi en matière: La vie est courte, non pas absolument parlant, mais par rapport à l'étendue de l'art, qui tient à la rapidité du moment opportun, aux dangers de l'empirisme et aux difficultés du dogmatisme. - L'art, qui consiste à formuler en principes généraux les faits particuliers, ne peut aisément parvenir à ce résultat à cause de la mobilité de la matière sur laquelle il s'exerce. Il y a deux manières de parvenir à la connaissance : l'empirisme, dangereux à cause de la dignité de l'homme, sur lequel il n'est pas permis de faire des essais comme sur les corps inanimés; le κρίσις difficile, soit que ce mot signifie, comme je le pense, le raisonnement, soit, comme le veulent à tort les empiriques, qu'il veuille dire le discernement, lequel juge de la valeur des nombreux moyens employés empiriquement. En effet, dans le premier cas, ce qu'Hippocrate soutient n'est-il pas prouvé jusqu'à l'évidence par les éternelles disputes des médecins, par les mille systèmes qui prennent naissance tous les jours: dans le second, n'est-il pas impossible de déterminer au juste quel remède a été bon ou nuisible, quand on en a employé un grand nombre à la fois? L'art est donc immense si on le mesure sur la vie d'un homme; et rien n'est plus précieux pour la postérité que de rédiger la science médicale sous la forme aphoristique, également utile à ceux qui commencent à l'apprendre et à ceux qui veulent se la rappeler quand ils l'ont oubliée. - Mais enfin que veut dire Hippocrate en commençant ainsi : La vie est courte si on la compare à l'étendue de l'art? Les uns pensent que c'est pour encourager ceux qui étudient dignement la médecine, les autres pour les détourner de cette étude; ceux-ci veulent que ce soit une sorte d'épreuve pour discerner ceux qui étudient avec ardeur de ceux qui apprennent nonchalamment la science. Ceux-là soutiennent que c'est pour inviter à faire des commentaires aphoristiques; d'autres croient qu'Hippocrate a voulu montrer que la médecine est toute conjecturale; enfin, les derniers assurent que c'est pour apprendre aux médecins par combien de causes ils sont trompés dans leurs prévisions. - Tous ces commentateurs ne me semblent avoir rien dit de raisonnable pour l'interprétation de cette sentence. Serait-il sage et digne de la doctrine [pronostique] d'Hippocrate de dire en commençant que l'art est conjectural et que nous sommes perpétuellement trompés ? Aurait-il ajouté ces paroles : « Il faut que non seulement le médecin, etc. ? » Elles sont d'un homme qui croit parler au nom de la vérité et non discourir sur des illusions. Aux seconds, je demanderai s'il ne serait pas de la dernière absurdité de présenter des préceptes comme devant être utiles à la postérité, et de détourner de les apprendre? Ceux qui prétendent qu'Hippocrate veut engager à étudier avec persévérance, se rapprochent du vrai ; mais leur explication n'est pas entièrement digne de ce grand homme, ni complètement en rapport avec le reste du livre. J'en dirai de même de ceux qui pensent que ces paroles sont une sorte d'épreuve. - Il semble plus raisonnable de croire qu'Hippocrate a commencé ainsi son livre pour justifier le genre aphoristique qu'il a choisi, et qui présente la substance des choses dans le moins de mots possible. Cette manière est la seule qui permette d'étudier complètement un art aussi étendu, et d'ajouter peu à peu et méthodiquement les connaissances qui nous sont propres à celles de nos ancêtres; car il n'est personne qui puisse tout seul inventer en quelque sorte un art et le mener à perfection. » (Galien.)