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introduction.

Galien rapporte un exemple curieux qui prouve à la fois quelle passion Ptolémée Évergète avait pour les vieux livres, quelle munificence il déployait pour s’en procurer, et combien les exemplaires des plus fameux ouvrages étaient peu multipliés. Ptolémée n’avait sans doute dans sa bibliothèque que des copies, incomplètes ou infidèles, des tragédies d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide ; il demanda aux Athéniens l’exemplaire qu’ils possédaient des œuvres de ces poètes, afin d’en faire prendre seulement copie, promettant de le leur rendre intact ; et, pour gage, il déposa entre leurs mains quinze talents d’argent (ce qui fait 64,680 fr. de notre monnaie, si l’on suppose qu’il s’agit seulement du petit talent attique, lequel vaut 4,312 fr., d’après le calcul de M. Saigey, Métrologie, pag. 42.). Après avoir fait copier les tragédies avec luxe, sur le plus beau papyrus, il retint l’ancien exemplaire et envoya aux Athéniens le nouveau, leur disant qu’ils n’avaient qu’à garder l’argent en compensation de ce que lui gardait la copie confiée. « Quand même, dit Galien, il aurait retenu l’ancien exemplaire sans en remettre un nouveau, les Athéniens, qui avaient reçu le dépôt d’argent à condition de se l’approprier si le roi ne leur rendait pas les livres de leurs poètes, n’auraient rien eu de mieux à faire. Aussi ils prirent la riche copie faite par l’ordre de Ptolémée, et ils gardèrent les quinze talents[1]. » L’on voit, par ce récit, combien les livres étaient peu répandus ; la bibliothèque d’Alexandrie n’avait pas un exemplaire authentique des trois tragiques grecs ; il n’y en avait de copie certaine qu’à Athènes, et, si un incendie avait dévoré le lieu où les Athéniens conservaient ces monuments du génie de leurs concitoyens, la perte eût peut-être été irréparable. Il

  1. Tome v, p. 412, Éd.. Basil.