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tubes couleur de thé, au soleil, au-dessus d’une chevelure de vieux lierre et de ronces, où il y avait, en outre, quelques grosses mûres noires qui brillaient comme des perles.

Pour le coup, il fallait avoir absolument tous ces trésors.

Manette ne pouvait songer à les atteindre directement, la falaise descendant là à pic. Mais comme elle était avisée, elle se dit qu’elle pourrait, en se mettant derrière le lierre, là où on voyait une ouverture, passer la main en ayant bien soin de ne pas se piquer, tirer les chèvrefeuilles et cueillir les mûres. Cette manœuvre réussissait à merveille, le bouquet grossissait à vue d’œil, et le chèvrefeuille faisait très bien à côté des roses. Manette, maintenant, mord dans une belle mûre noire toute chaude de soleil, et ses petites lèvres sont déjà barbouillées de violet quand elle s’arrête, inquiète, et tourne la tête du côté du rocher.

Elle entendait quelque chose d’effrayant : une voix de garçon qui criait : Au secours !

Manette avait bien peur. Elle avait même grande envie de s’en aller. Mais elle avait aussi grande envie de savoir qui criait au secours. Et puis, la voix n’avait pas l’air bien effrayée. Le petit garçon qui criait s’arrêtait, puis reprenait, sans se presser. Manette eut l’idée que c’était peut-être pour jouer. Elle voulut voir, et s’avança sous le rideau de lierre, du côté d’où partait cette voix. Elle aperçut l’entrée de la grotte d’Yves, le bord de cette espèce de puits, et s’arrêta. La voix reprit dans le fond de ce puits, et, cette fois, elle ne criait plus : au secours. Elle faisait : Ah-ah ! comme une espèce de chant. C’était évidemment un jeu. Manette s’agenouilla au bord du puits et avança sa petite mine curieuse. Yves, dans le fond, leva la tête. Les deux enfants se regardèrent.

« Ah ! fit Yves, je suis sauvé. Dites, petite fille, je vous en prie, ne vous en allez pas avant que je vous parle. Je suis enfermé ici. Vous n’êtes pas seule. Dites à votre papa qu’il vienne tout de suite. Je suis enfermé. Qu’on vienne me délivrer ou je mourrai ici ! »

Manette éclata de rire. Elle ne comprenait pas. Pour elle, le petit garçon n’avait qu’à sortir comme il était entré.

« Vous jouez à la prison. C’est amusant !

— Non, non, je ne joue pas : j’ai peur. Il y a plus d’un jour que je suis ici et que je ne peux pas sortir. »

Cela parut encore plus invraisemblable à Manette. Elle rit de plus belle, trouvant que le petit garçon jouait très bien son rôle.

« Je veux y jouer aussi, à la prison », dit-elle.

Et Manette se retournant, mais sans lâcher son bouquet, se coucha sur la pente du rocher pour glisser dessus.

« Ne faites pas cela ! Restez là-haut, mon Dieu ! Vous ne pourriez plus sortir. »

Mais Manette n’écoutait pas. Comme le bouquet la gênait pour glisser avec ses petites mains, elle le jeta à Yves en lui disant :

« Gardez mes fleurs, je descends. »

Et, malgré les cris de terreur d’Yves, elle se laissa aller sur la pente de la roche comme les gamins sur les rampes d’escalier.

Il y avait maintenant deux prisonniers dans la grotte d’Yves, deux prisonniers séparés du reste du monde.


III

Sur terre et sous terre.


Dans le chagrin profond où étaient plongés les habitants du château de Penhoël, une espérance avait lui, pour ce jour-là, jour du Pardon. Le chevalier voulait absolument croire (et il avait fait partager sa croyance à Manon sinon au baron) qu’on aurait des nouvelles d’Yves par l’un des innombrables paysans venant à la fête. Quelqu’un des environs aurait vu certainement l’enfant. On allait ou le ramener, ou signaler son passage quelque part. Sans