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VICTOR FAVET

Assez sèchement, il traduisit tout haut sa pensée. Respectueux, l’agent opina.

« Mon Dieu ! murmura Jean, du fond de son cœur désorienté par ce machiavélisme trop fort pour lui, comment faire pour qu’on me croie ?… »

Hébété de chagrin, il écoutait les instructions données par le commissaire à l’agent qu’on allait envoyer aux renseignements.

« Que va dire… maman ?… Que va dire… maman ?… » sanglotait l’infortuné bambin.

Il voyait l’étonnement provoqué dans toute la maison par l’uniforme du gardien de la paix, l’émoi de la malade en présence de celui-ci… Sa désolation en apprenant quelle suspicion infamante pesait sur son petit Jean… Que penserait-elle de lui à cette minute ?…

« Ah ! maman, maman, tu sauras bien affirmer que je n’ai jamais menti… » gémissait tout bas le pitoyable marchand de violettes, écroulé sur un coin de la banquette qui garnissait une des parois de la pièce.

À cet instant, et comme le messager allait quitter le bureau, on frappa à la porte.

« Entrez !… cria le commissaire, à qui on remit une carte de visite blasonnée fleurant bon.

« Comtesse de Reuilly ?… lut-il… Je ne connais pas… Faites… entrer. »

Très élégante, une jeune femme parut et s’excusa avec aisance de déranger ainsi monsieur le commissaire de police.

« Mais je viens de perdre un objet auquel je tiens beaucoup, expliqua-t-elle, et je voudrais, sans retard, vous faire ma déclaration. »

Tout en parlant, ses yeux erraient distraitement sur la grande table en face de laquelle on venait de lui avancer une chaise.

Tandis que le commissaire demandait à l’agent chargé d’aller rue Croix-Nivert le registre des déclarations, la dame se leva précipitamment de son siège et poussa un cri de joie :

« Mais le voilà, mon objet égaré, le voilà, s’écria-t-elle en désignant la bourse malencontreuse posée sur le bureau. Ah ! monsieur, que je suis contente ! J’étais loin de m’attendre à rentrer si vite en possession de ce bijou perdu il y a une heure à peine !… »

Tiré de sa torpeur douloureuse, Jean sauta sur ses pieds, mais, n’osant croire à son bonheur, il refréna l’exclamation qui lui montait aux lèvres.

Très surpris, le commissaire, loin de rendre à la comtesse de Reuilly la bourse vers laquelle elle tendait déjà ses doigts finement gantés, posa sa vaste main sur la trouvaille de Jean :

« Vous êtes sure, madame, que cette bourse vous appartient ?…

— Oh ! absolument sûre, monsieur, fit la jeune femme en souriant de ce doute. Elle est reconnaissable à sa forme un peu spéciale. Elle fait partie de la trousse que je porte, et vous pouvez vous rendre compte de la similitude de tous les objets qui la composent. Ils ont été ciselés exprès pour moi et dans un style particulier. »

En même temps, elle présentait au fonctionnaire l’extrémité d’une longue chaîne où pendaient une glace, un flacon, une bonbonnière, un peigne minuscules, en or guilloché et nettement frères de la bourse dont l’attache fragile et brisée se voyait encore.

« Tenez, monsieur, continua madame de Reuilly, voulez-vous une dernière certitude ? Regardez si, dans le coin droit de la bourse, ne se trouve pas un écusson aux initiales M. R. (Marie de Reuilly) surmontées d’une couronne. Ceci vous convaincra, je pense… acheva-t-elle en souriant, sans la moindre aigreur.

— Excusez-moi, madame, fit courtoisement le commissaire, après avoir vérifié cette preuve d’identité définitive. J’ai pu vous sembler méfiant, peut-être même impoli, mais il ne m’était pas possible — en conscience, — de vous éviter ces quelques formalités. Veuillez m’excuser et ne point m’en savoir mauvais gré. »