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SEMAINE DES ENFANTS


LA BELLE VIOLETTE ! (Suite.)

La gorge sèche, les yeux brûlants de larmes, Jean voyait fuir son rêve… Sans doute cet argent n’était pas à lui !… Où avait-il la tête ? La faim le troublait-elle à ce point qu’il méconnût ainsi les leçons maternelles ?… Cette bourse, quelqu’un l’avait perdue, et personne ne la lui avait donnée. Ceux qui gardent ce qu’ils trouvent, on les appelle des voleurs… Voleur !… il allait devenir un voleur… par étourderie… par légèreté. Encore quelques instants et il entamerait ce trésor qui ne lui appartenait pas…

À cette idée, le rouge de la honte saine, de la honte des honnêtes cœurs, monta jusqu’à sa frimousse pâlotte.

« Oh ! maman… qu’aurais-tu dit ?… » gémit le pauvre garçonnet.

Certes, le regret de sa joie déjà morte, de toutes les riantes perspectives envolées, serrait bien fort le cœur de Jean ; mais l’appréhension du blâme maternel, auquel il courait si inconsciemment, l’oppressait tout autant.

Elle était bien malheureuse physiquement, cette mère du petit marchand de violettes… Malade elle-même, elle n’avait ni pain ni vêtements à donner à ses enfants… Et pourtant ! quelle maman riche et comblée ne lui eût envié l’âme enfantine, droite et pure qu’elle avait su former ?

En effet, pas un instant Jean ne recula en présence de ce devoir, si dur après les rêves spontanés de la première minute. Pas un prétexte ne lui fournit son subterfuge pour vaincre la difficulté. Dès que ses yeux dessillés virent le droit chemin, il s’y engagea tout entier, sans hésitation ni murmure…

Rendre l’argent… Il fallait le rendre tout de suite… À qui ?… Entrer dans un bureau de police ?… c’était bien intimidant… Jamais le pauvret n’oserait… Non ! il valait mieux s’adresser à un des agents qui stationnent dans les rues.

Où en trouver un ?

L’enfant regarda autour de lui pour tâcher d’aviser le képi d’un gardien de la paix.

Arrêté dans la pleine lumière d’un magasin brillamment illuminé, il tournait et retournait d’un mouvement machinal la bourse dans ses mains, rouges de froid.

Il ne s’était pas aperçu qu’un monsieur, enveloppé dans une pelisse de fourrure, l’examinait depuis un instant. Tout à coup, celui-ci l’interpella brusquement :

« Que fais-tu donc là, gamin ? » lui dit-il, la voix rude.

Interloqué par cette apostrophe, Jean répondit, timide :

« Rien, monsieur ; je cherche quelqu’un.

— Ah ! vraiment, tu cherches quelqu’un. Et pourquoi faire, s’il te plaît ? »

La conscience de Jean n’était pas sans reproche. Si ce monsieur si bien habillé était par hasard le propriétaire de la bourse !… Il avait peut-être vu Jean la ramasser et deviné qu’il n’avait pas pensé tout de suite à la restituer !… Quelle confusion !…

Très rouge, l’enfant balbutia des mots inintelligibles, tandis que la bourse, du même mouvement machinal, passait sans cesse de sa main droite dans sa main gauche.

« Ah ! mon gaillard, je crois que te voilà pris au piège ! ricana le gros monsieur, en posant le bout de son doigt ganté sur l’épaule du petit, terrorisé. Veux-tu me dire, continua-t-il, où tu t’es procuré ce bijou d’or que je te vois soupeser depuis dix minutes. »

Jean ne mit pas en doute, à ces paroles, qu’il était en face du propriétaire, lésé par son hésitation coupable :

« Pardon, monsieur, lit-il en lui tendant