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Clairette transigea : s’ils n’étaient pas arrivés, elle irait revoir « ses coins » ; elle en en avait si grande envie ! Elle explorerait en même temps les alentours du fameux passage… Qui sait ?… Ne devait-elle pas la connaissance de l’escalier secret à une succession d’incidents relevant tous de l’inattendu ?…

Cette visite serait la seule, au reste ; plus jamais, ensuite, elle ne retournerait chez leurs peu sociables voisins.

On était au samedi. Le lendemain la fixerait. Si la famille de Kosen était au château, elle se rendrait à la messe à Arlempdes, qui était sa paroisse, malgré que l’habitation eût pris le nom de la commune voisine, peut-être parce que l’ensemble de la propriété s’étendait en grande partie sur le territoire de Vielprat.

En franchissant le seuil de l’église, le dimanche matin, le premier regard de Claire fut pour le banc seigneurial.

Il était vide… oui… mais le resterait-il ?

Cette inquiétude tenait la jeune étourdie distraite, si distraite que, tout occupée de considérer la foule qui peu à peu emplissait la nef, elle demeurait debout devant sa chaise, à demi détournée.

Un doigt lui entrant dans l’épaule la jeta à genoux, brusquement.

« L’avis » venait de Rogatienne, scandalisée.

Un demi-sourire sur les lèvres, car le banc seigneurial demeurait inoccupé, Clairette joignit les mains et tourna cette fois les yeux vers le tabernacle.

« Mon Dieu, murmura-t-elle comme début à sa prière, que la cousine a donc les doigts pointus ! Vous me pardonnez, dites, mon Sauveur béni, d’avoir pensé d’abord à mes petites affaires : je suis sûre que vous me pardonnez ! vous qui m’avez vu racler mon escalier avec tant de courage. Ils sont si beaux, les sites que vous avez créés, et du parc on voit si loin ! Vous devez comprendre mon désir d’y aller. Ça ne nuit à personne et ça me fait tant plaisir.

— Lis donc ta messe », grognonna Rogatienne, en accompagnant ce second avertissement d’un coup de coude dans les côtes de la délinquante.

Claire regarda Mme  Lortet d’un air ahuri. Elle avait toute sa vie prié ainsi qu’elle venait de le faire… Et cela ne se trouve pas dans les missels. Il lui semblait que le bon Dieu devait être content de la voir lui ouvrir son cœur en toute simplicité. Y a-t-il une prière plus simple que le pater ? Et ne contient-elle pas tout ?…

En place du pain quotidien, Clairette avait coutume de demander ce qui lui faisait envie…

Elle haussa légèrement les épaules, à la bourrade de la veuve, et murmura :

« Ses coudes sont aussi pointus que ses doigts ! Mon Dieu, donnez-lui s’il vous plaît la santé pour qu’elle engraisse, ça ménagera mes côtes. »

Et elle poursuivit la série de ses petites confidences, pensant surtout à elle, mais priant aussi cependant pour sa grand’mère, tant privée de ne plus assister aux offices, faute de pouvoir se hisser en voiture, et pour ses pauvres parents, séparés d’elle par une si grande distance, et pour si longtemps…

En dépit de son impatience, Claire ne commit pas la faute de descendre dans le parc de Vielprat dès après le déjeuner. Si elle ne devait y faire que cette unique promenade, elle entendait ne la point voir interrompue par les appels des vieilles cousines.

Elle se mit à écrire.

P. Perrault.

(La suite prochainement.)