Page:Hetzel - Verne - Magasin d’Éducation et de Récréation, 1903, tomes 17 et 18.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caractéristique, que les peuples primitifs en ont été frappés au point d’en faire des espèces de divinités ou de fétiches qu’adorèrent pendant des siècles les simples d’esprit.

Que d’arbres ont ainsi été l’objet d’un véritable culte, depuis les cèdres du Liban et les chênes prophétiques de la forêt de Dodone en Épire, jusqu’à ceux qui, dans nos forêts gauloises, abritaient des cérémonies dont il sera question plus tard.

Le murmure ou le mugissement du vent dans les branches, les vagues « bruits inconnus » qui, sous leur ombre épaisse, viennent parfois troubler le silence solennel des grands bois, les lueurs intermittentes qu’y jettent les mystérieuses nuits lunaires si propices aux apparitions fantastiques et ces frissonnements enfin auxquels l’on échappe difficilement au sein des vastes solitudes, tout cela inspirait cette « terreur sacrée » dont parlent les anciens poètes et nous explique l’origine du culte fétichique des forêts que l’on retrouve dans tous les pays du monde, aussi bien parmi les peuplades sauvages, que dans les mythologies compliquées des Grecs et des Romains.

Les Tahitiens croyaient que les arbres ont une âme qui s’en va dans le monde des esprits, quand on les coupe ou qu’on les brûle. Les indigènes de l’Indo-Chine ne manquent jamais d’offrir un sacrifice à l’arbre sous lequel ils se sont reposés.

Au Bengale, un grand pèlerinage a pour objet, l’on pourrait presque dire pour héros, un arbre appelé Béla auquel on offre du riz, de l’argent et parfois des victimes. Il en est de même du fameux Bo de Ceylan qui passe pour être la bouture de l’arbre sacré sous lequel le grand Bouddha Çakyamouni enseigna sa doctrine.

Chez les Esthoniens, peuple civilisé et chrétien, l’on voyait naguère, auprès de chaque maison de paysan, s’élever l’arbre tutélaire de la famille, chêne, frêne ou tilleul, dont la racine était soigneusement arrosée du premier sang de tout animal tué pour l’usage domestique.

En Patagonie, le célèbre Darwin vit offrir des sacrifices au pied de certains arbres consacrés.

Dans un village de l’Afrique, pays essentiellement fétichiste, un gigantesque figuier, Ficus religiosa, était le fétiche tutélaire de la tribu, sous l’ombrage duquel le roi réunissait son conseil. Mêmes coutumes en Égypte, où tant de végétaux étaient divinisés, ainsi que chez les Hébreux, comme le démontrent divers passages de la Bible.

En Grèce, ce n’étaient plus les arbres que l’on adorait, mais des divinités (dryades et hamadryades) qu’avait inventées l’imagination poétique des peuples de l’Hellade. C’est dans ce même esprit que les Pélasges avaient transformé en oracles sacrés les vieux chênes de Dodone, et c’est enfin dans les forêts de la Gaule que nous retrouvons les derniers vestiges d’un fétichisme que les Druides avaient transformé en le spiritualisant.

Le christianisme du moyen âge, ne pouvant détruire le prestige que conservaient certains arbres sacrés, les acquit adroitement à sa cause, en les adoptant pour ainsi dire et en légitimant la foi des populations irrémédiablement fétichistes, par l’insertion de croix et de statuettes de la Vierge et des saints dans la cavité des vieux troncs vermoulus ou dans les niches que les prêtres y faisaient pratiquer dans ce but.

Après ces considérations générales sur l’ensemble des arbres consacrés par les superstitions populaires, pénétrons dans la galerie de nos célébrités végétales et commençons tout d’abord par quelques histoires spéciales dont nous puisons les curieux documents dans l’historiographie botanique.

Ed. Grimard.

(La suite prochainement.)