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Les kilomètres disparaissent ; plus que dix, neuf, huit, moins encore à franchir. Voici les arbres de l’Aïn Mérirès dont la source, captée, alimente d’eau Géryville. Enfin, voilà Géryville lui-même.

Derrière nous Gourari et Congo chantonnent dans un ton mineur : Congo et Gourari sont heureux de rentrer.

Moi aussi, pour le moment ; pas pour longtemps, j’espère.

Michel Antar.
FIN.
LE GÉANT DE L’AZUR
Par ANDRÉ LAURIE

XXI (Suite.)
Derniers coups d’aile.

« C’est fini !… dit enfin Gérard en se rapprochant des cendres fumantes. Pauvre vieil oiseau !… dire qu’il s’est survécu des milliers d’années pour en arriver là !…

— Mais il a bravement fait son devoir jusqu’au bout, s’écria Nicole en plaçant son bras sous celui d’Henri, immobile et atterré. Non seulement il nous a conduits en Afrique, mais il vient de nous emporter, de son dernier élan, hors de l’atteinte des soldats. Henri, consolez-vous ! Même si vous avez perdu un admirable instrument, le principe est sauf et vous reste. Vous avez prouvé ce que peut la science. Grâce à vous, le grand problème est résolu…

— Vous avez raison, Nicole, le principe reste !… s’écria Henri en passant sa main sur son front, comme pour en chasser le nuage qui l’assombrissait. Mais, je l’avoue, la perte de ce noble serviteur m’est cruelle… Je m’étais pris d’affection pour lui… et jamais, quoi que j’en dise, la mécanique ne nous rendra la perfection de cet Epiornis semi-nature… Et puis, nous voici jetés sans ressources, sans moyen de locomotion, en plein pays ennemi… alors que rien n’était plus simple que d’échapper aux poursuites, montés sur notre fidèle hippogriffe ; rien ne sera plus difficile que de les éluder désormais !

— Les Anglais ont un proverbe qui me paraît assez sage, interrompit Gérard : What can’t be cured must be endured[1], disent-ils. Et puisque nous ne pouvons pas, hélas ! remettre sur pied notre pauvre Epiornis, ne nous attardons pas à de vains regrets. Tâchons de nous tirer d’affaire sans lui.

— Tu as raison, fit Henri en soupirant. Voyons : j’avais calculé que nous planerions aux environs de Modderfontein sur les cinq heures du soir. Il en est quatre, ajouta-t-il après avoir consulté sa montre. En tenant compte de la différence entre notre allure future et celle de l’Epiornis, il faut compter au bas mot deux ou trois jours pour y arriver. D’ici là, nous ne pouvons manquer de tomber dans l’un ou l’autre parti belligérant. Si ce sont des Boers, le nom de Nicole nous servira de passeport. Si ce sont des Anglais…

— Nous serons des touristes venus pour visiter le théâtre de la guerre, suggéra Gérard.

— Singuliers touristes, sans bagages, sans domestiques, sans une chemise ou une paire de chaussettes de rechange.

— Bah ! les hasards de la guerre seront la cause de notre dénuement… Mais, j’y pense ! je ne suis pas sans le sou, ajouta joyeusement Gérard en exhibant un portefeuille bien garni. Quoique je sois peu porté, de mon naturel, à pratiquer l’épargne, je constate avec une légitime fierté que je n’ai pas dépensé le vingtième de la somme dont le cher

  1. Il faut endurer ce qu’on ne peut empêcher.