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diocrement satisfait d’apprendre, par Osmin, que « la jeunesse » profiterait d’une occasion, une charrette qui se rendait au chef-lieu de canton et que le résinier avait arrêtée au passage.

Le véhicule était rustique : pas de ressorts, bien entendu ! des roues presque pleines dont le moyeu rejoignait la jante, et quel attelage !… des mules aux jambes grêles, aux oreilles longues, la tête passée entre les barreaux d’une sorte d’échelle, posée en travers, qui les reliait entre elles… des cordes servaient de rênes…

Estèphe caressait les bonnes bêtes.

« Vois-tu, expliqua-t-il à Riquet, celle de droite s’appelle Martine, celle de gauche Jouhanne, et toutes les mules, dans ce pays-ci, portent le même nom. C’est très commode. On ne se trompe jamais !

— En route ! » cria le conducteur, un brave homme tanné par le soleil, dont la veste de toile bleue, émaillée de pièces multicolores, ressemblait à un échiquier.

Estèphe escalada la charrette, Véronique le suivit, Riquet monta le dernier pour mieux remercier ses hôtes.

Il aurait voulu leur offrir quelque chose, mais sa poche était vide, et, du reste, M. et Mme Osmin avaient le regard fier. On devinait qu’ils exerçaient l’hospitalité en gens qui la considèrent comme un devoir et non comme une aubaine.

Le petit garçon se contenta donc de serrer la main du résinier et d’embrasser la bonne résinière, puis il grimpa sur le siège à côté du conducteur.

Les mules partirent à fond de train, secouant et cahotant à plaisir leurs voyageurs ; elles tournaient court, passaient sur les souches à fleur de sol ; l’homme les excitait :

« Hue ! Jouhanne, hardi ! Martine… »

Et Martine et Jouhanne dévoraient l’espace sans jamais glisser sur les aiguilles sèches, sans jamais buter contre les obstacles… Estèphe riait et battait des mains, et Riquet s’amusait de tout son cœur…

Bientôt on aperçut l’étang qui étincelait au soleil et le toit rouge de la maisonnette rustique. Des cavaliers allaient et venaient autour, mais ils ne semblaient pas se préparer à une chasse… tous avaient l’air tristes, préoccupés.

Au bord de l’eau, un groupe noir cherchait quelque chose.

Tout à coup, l’un des hommes penchés au-dessus de la berge se retourna et il aperçut la charrette qui dévalait à une allure vertigineuse : sur le siège, Riquet faisait une petite tache blanche.

L’homme leva les bras en l’air et se mit à courir aussi vite que ses vieilles jambes le lui permirent ; il arriva juste à temps pour recevoir dans ses bras l’enfant prodigue.

« Monsieur Henri ! balbutiait-il, monsieur Henri ! »

Il ne pouvait trouver autre chose.

Et tout tremblant, comme un avare s’enfuit avec son trésor, il emporta son jeune maître vers le rendez-vous de chasse.

« Monsieur, cria-t-il, venez vite ! Je l’ai ! »

Le pauvre père qui, depuis la veille au soir, ne cessait de battre le pays en tous sens et qui parlait à présent de sonder l’étang, accourut en entendant la voix familière.

Jean lui passa le fardeau, trop lourd pour lui, et, tout haletant, il murmura :

« Ah ! si on ne l’avait pas retrouvé j’en serais mort de chagrin. »

M. de Hanteillan mangeait son fils de baisers et le palpait en tous sens pour s’assurer qu’il n’avait rien de cassé.

« Mon pauvre chéri, murmurait-il. Où étais-tu pendant cette nuit d’orage ?

— Dans un bon lit, papa !… J’ai mieux dormi que dans le mien !…

— Tu dois avoir faim !

— Oh ! non, j’ai très bien déjeuné, ce matin !… »