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bruits s’éteignaient. Les lapins se terraient, les écureuils se cachaient sous les branches, les graminées elles-mêmes n’osaient plus bouger…

Des grondements répétés semblaient dire : « Mettez-vous à l’abri, si vous êtes dehors… Hâtez-vous !… Dans quelques minutes, il sera trop tard !… »

Le pauvre Riquet, tout haletant, perdait la tête : il croyait vivre un de ces contes effroyables où, plus on avance, plus la montagne se resserre pour étouffer l’infortuné voyageur !

Maintenant, les dunes rapprochées, très escarpées, formaient une véritable gorge, d’aspect sinistre…

Le soleil disparut, mangé par les nuages, et, tout à coup, un roulement sourd ébranla l’air ainsi qu’une canonnade lointaine.

Riquet tomba à genoux et se voila les yeux des deux mains…

Ah ! comme il regrettait à cette heure sa folle témérité, comme il aurait donné beaucoup pour être transporté à Hanteillan, dans le salon tranquille, où l’on pouvait fermer les volets pour ne pas voir l’éblouissement des éclairs.

Un second coup de tonnerre, plus près cette fois, aplatit Riquet sur le sol…

« Mon Dieu ! murmura-t-il, je ne serai plus désobéissant, je vous le promets… Ayez pitié de moi !… Je suis bien à plaindre !… »

À ce moment, le petit garçon se sentit secouer violemment. Était-ce la foudre ?… Ne racontait-on pas, dans les livres, qu’elle prend quelquefois la forme d’une grosse boule de feu qui vous frôle ?…

À tout hasard, il entrouvrit les yeux et aperçut devant lui une fillette de onze à douze ans qu’un garçonnet — son jeune frère sans doute — tenait par la jupe.

« Que fais-tu ici ? demanda l’inconnue, une brunette aux yeux de velours, très pauvrement vêtue, qui portait ses sabots d’une main, et, de l’autre, un panier d’où sortait le col d’une bouteille.

— Je… je ne fais rien ! balbutia Riquet. J’attends seulement que l’orage passe.

— Un bel endroit pour attendre… Viens plutôt chez nous !

— Où est-ce chez vous ?

— À deux pas d’ici… aux Arroncs[1] chez Osmin, le résinier… Nous y serons mieux que sous ce pin qui attirerait peut-être le feu du ciel. »

Plein d’espoir, Riquet se relevait, lorsqu’un autre coup de tonnerre, plus violent encore que le premier, l’aplatit de nouveau, le nez dans le sable…

« Viens donc ! » fit la petite avec autorité.

Elle lui prit le bras et le mit debout presque de force !

Il la suivit.

À peine avaient-ils fait dix pas qu’un vent fort se leva, une vraie trombe… Le sable cinglait le visage des enfants ; ils étaient aveuglés ! Pour sa part, Riquet ne savait plus où il était, ni où il allait !… Fort heureusement, sa compagne le tenait toujours d’une main ferme…

On entendit un hurlement bizarre pareil à ces appels de sirènes qui résonnent dans les ports de mer ou dans les villes de fabriques. « C’est papa ! expliqua la fillette… Il souffle dans son grand coquillage pour nous guider. »

Et, mettant deux doigts devant la bouche, elle répondit au signal par un cri modulé et très aigu qui traversa le vent.

Aussitôt, une voix inquiète cria :

« Véronique !… Estèphe !… Où êtes-vous ? »

Et un homme sec, noir, les pieds nus, une petite hache à la ceinture, dégringola la dune avec l’agilité d’un écureuil…

Sans s’attarder à demander des explications sur la présence du petit étranger ha-

  1. Les roseaux, en patois gascon.