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rapprocher ; on aurait dit que la chasse le narguait !

« Si je coupais au plus court, pensa-t-il, je me placerais sur le chemin de papa et il serait bien obligé de me prendre en croupe ! »

Dans son imprudence d’enfant, le petit garçon ne réfléchit pas qu’il pouvait d’abord se trouver nez à nez avec le sanglier et que de telles rencontres se terminaient généralement fort mal ! Comme tant d’autres, il n’écouta que son caprice !

L’oreille tendue vers la forêt, il se mit à courir sur la route sablonneuse et tourna dans un sentier qui montait sous les pins.

Ses souliers vernis glissaient sur les aiguilles sèches qui jonchaient le sol, butaient contre les souches, il allait toujours !… De temps en temps, il s’arrêtait pour mieux entendre…

Chose bizarre ! plus il avançait, plus le bruit de la chasse se perdait dans l’éloignement ; bientôt la voix des chiens n’arriva même plus jusqu’à lui !

Les oiseaux se taisaient, engourdis par la chaleur, mais chaque arbre portait sa cigale, et leurs crissements troublaient seuls le silence, accompagnant de trilles aigus la basse profonde de l’Océan, tout proche, dont le grondement régulier ressemblait à la respiration d’un géant endormi.

Robert s’assit sur un pin renversé pour réfléchir et se reposer, car les beaux souliers vernis commençaient à lui blesser les pieds.

On n’apercevait plus l’étang, ni le toit rouge du rendez-vous de chasse : le paysage avait complètement changé d’aspect ; c’était un moutonnement de dunes plantées de pins, entre lesquelles le chemin forestier serpentait, pareil à un ruban couleur de rouille.

Deux ornières profondes indiquaient que les charrettes à mules passaient souvent par là.

De jeunes pins, aux pousses vert tendre, des fougères, aussi hautes que Riquet, des graminées blondes bordaient le sentier, et tout cela était tranquille, sans frissonnement, comme frappé de stupeur…

Le jeune émancipé, pour se distraire, tira un couteau de sa poche et se mit en devoir de creuser un bateau dans un morceau d’écorce de pin. Ce travail l’absorba une bonne heure et, tout en s’y livrant, il riait sous cape, le méchant, à la pensée de l’émoi de Jean, quand celui-ci ne le retrouverait plus sur le banc.

Le bateau fini, Riquet se décida à reprendre le chemin du rendez-vous de chasse, mais comme il n’était pas très ferré en topographie, il s’embrouilla, tourna à gauche au lieu de prendre à droite et revint vers la mer, sans s’en douter le moins du monde.

Ses pieds enflaient, la sueur perlait sur son front.

« Jamais je n’aurais cru que l’étang fût si loin, pensait-il découragé. C’est très fatigant de marcher dans le sable !… »

Là-bas, en face de lui, se levaient des nuages, noirs comme les doigts de Riquet lorsqu’un devoir l’ennuyait ; la solitude semblait se réveiller de sa léthargie, on entendait des frôlements mystérieux, des craquements furtifs ; un écureuil à la queue touffue sautait dans un arbre, un lapin traversait le chemin à toutes jambes. Les bêtes et les choses paraissaient inquiètes…

L’orage ! Oh ! l’idée horrible !…

Riquet se mit à trembler de tous ses membres ! À Hanteillan, il courait, aux premiers éclairs, retrouver son père, son précepteur ou Rosalie ; il se blottissait contre eux, les yeux fermés, les doigts dans les oreilles, pour ne rien voir, ne rien entendre ! Mais ici, où se cacher ?… où se réfugier ?… Pas une maison ! … rien que des arbres !… Des arbres, si dangereux en temps d’orage !…

Le petit homme prit ses jambes à son cou ; les nuages le poursuivaient ; ils montaient livides ou sombres, tout chargés de menaces, et à mesure qu’ils montaient, de nouveau les