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en m’endormant tout à l’heure, et c’est elle qui nous a menés sans à-coup jusqu’ici.

— Est-ce possible ?… Mais, au surplus, où sommes-nous ? Êtes-vous bien sûrs d’avoir suivi la bonne voie ? demanda Henri en essayant de se relever pour regarder la boussole.

— Oui, sois tranquille. Nous allons droit au Transvaal, et nous y arriverons sans encombre, pourvu que tu n’entraves pas notre course en te faisant ce que Martine appellerait « du mauvais sang ». Tiens-toi tranquille, ne sois pas malade, et nous te déposons au Transvaal avant que tu aies le temps d’éternuer… N’est-il pas vrai, Nicole ?

— Oui, j’en suis persuadée. Mais il faut nous obéir et être sage, dit la jeune fille en posant doucement sa main fraîche sur le front du blessé.

— Sage ! je voudrais vous y voir !… murmura Henri. Ce n’est pas possible ! Je ne puis pas rester là comme un paquet sans rien faire ! reprit-il au bout d’un instant, il y a de quoi devenir fou !…

— Attendez, fit Nicole. Nous allons vous arranger de façon que vous puissiez surveiller le disque et celui qui le gouverne, ce qui vous permettra de le diriger et de vous rendre compte qu’il n’arrive rien de fâcheux ! »

Joignant l’action à la parole, Nicole établit prestement une sorte de siège avec les couvertures et les coussins dont était suffisamment pourvu l’aviateur, et Henri, y ayant été placé, la tête et les épaules bien soutenues, put, malgré le vertige et la nausée que lui causait le moindre effort, surveiller la manœuvre dont dépendait leur salut à tous.

Agenouillée à côté de lui, baignant ses tempes, lui offrant à boire, lui décrivant l’aspect du ciel et de la mer, Nicole semblait l’âme même du blessé ; calme et rasséréné par le sang-froid de ses deux compagnons, Henri, pénétré comme eux de l’impérieuse nécessité de garder sa lucidité et de ne pas ajouter un élément de plus aux périls de la situation, réussit par un énergique effort à dompter l’agitation fébrile qu’il sentait le gagner.

Se relayant toutes les heures, obéissant docilement aux indications de leur chef, Gérard et Nicole continuaient à guider dans l’espace le vol puissant de l’Epiornis avec autant de sérénité que s’ils avaient accompli la manœuvre la plus ordinaire.


XXI

Derniers coups d’aile.


Après quarante-huit heures de voyage, Henri, grâce à son indomptable énergie, était en état de collaborer à la manœuvre ; bien que tout danger de fièvre ne fût pas écarté et en dépit des instances de son frère et de sa fiancée, il avait exigé qu’on le laissât faire, et le résultat n’avait pas été fâcheux. Quant au bras de Gérard, il retrouvait son élasticité ; le gonflement et les élancements des premières heures avaient disparu ; et, sauf une légère sensation de raideur, Gérard déclarait ne se rappeler qu’il avait un bras gauche que s’il lui imprimait par mégarde un mouvement trop brusque. Henri avait repris espoir et comptait être bientôt sur pied ; ses progrès étaient si rapides et si marqués qu’on pouvait les attribuer à la pureté de l’oxygène respiré nuit et jour à pleins poumons. À ces altitudes, l’atmosphère avait la qualité légère et pour ainsi dire effervescente d’un vin mousseux ; le seul fait d’en remplir sa poitrine semblait renouveler les forces. Gérard, prompt à généraliser, voyait déjà les cures de montagne, à la mode dans le traitement de la tuberculose, remplacées par des saisons en aviateur et n’éprouvait plus que le dédain le plus complet pour l’air qu’on respire dans l’Engadine ou sur l’Himalaya. Qu’étaient ces